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jeudi 2 juillet 2015

Décès de Sergio Sollima : Un grand cinéaste vient de nous quitter


Sergio Sollima vient de partir à 94 ans, ce 1er juillet, dans sa ville natale de Rome. Il ne risque pas de faire la une des journaux, normal, il n'a jamais eu sa carte au service d'action civique ! Lui, politiquement, c'était plutôt l'inverse, ce qu'il a traduit tout au long d'une filmographie au service du cinéma de genre dans ce qu'il a de plus noble. Mon frangin et moi, tous deux passionnés par son oeuvre, l'avions rencontré en 2001 pour une interview qui sera publiée, quelques années plus tard, dans le Metaluna-Mag N°3. Voici le compte-rendu de cette entrevue avec le réalisateur du Dernier face à face, mon western préféré.

Sergio Sollima l'humaniste
Lorsque Colorado arrive sur les écrans en 1966, jamais le moindre western n’avait fait d’un pauvre péon un héros. Ce personnage est un mexicain hâbleur rêvant de révolution qui s’appelle Cuchillo car il n’a comme unique arme qu’un couteau. Cuchillo, c’est Thomas Milian, acteur génial à la fois hilarant, touchant et effrayant. Accusé du viol et du meurtre d’une fillette, il est poursuivi par Corbett (Lee Van Cleef), un chasseur de primes qui finit par découvrir que le seul crime de Cuchillo est d’être sans le sou… Ou quand la lutte des classes se traduit par un duel flingue contre lame !!!
Sollima, avant de donner une suite efficace aux aventures de Cuchillo en 1968 (Saludos Hombre), signe Le dernier face à face. Un chef-d’œuvre absolu qui décrit la rencontre entre un instituteur tuberculeux (Gian-Maria Volonte) et le chef de la horde sauvage Jack Beauregard (Thomas Milian). Ces deux là vont se contaminer, l’un prenant la barbarie de l’autre tandis que le second s’humanise. Film émouvant, puissant et beau, Le dernier face à face est une analyse impitoyable de ce que l’âme humaine peut commettre de pire et de meilleur. Telle la belle Linda Veras qui se sacrifie pour sauver un enfant. Et puis, comme dans tous les films de Sollima, un homme épris de justice va rétablir l’ordre des choses, il est ici campé par William Berger, agent de la Pinkerton.
Ces irréductibles, on les retrouvera ensuite dans toute la filmographie de Sollima qui préfèrera se consacrer au polar et aux films de pirates avec, entre autre, Sandokan, un justicier pourfendeur de l’exploitation de l’homme par l’homme, à l’image de Sergio Sollima, un réalisateur qui redonne foi en l’humain.


Comment devient-on un réalisateur majeur du western italien?
Je ne me considère pas comme un grand du western, je suis très fier de tout ce que j'ai fait à l'intérieur comme à l'extérieur du western. On peut donc plutôt se demander comment je suis devenu réalisateur, tout simplement. En fait tout a débuté alors que je n'étais qu'un enfant. J'ai commencé à aller au cinéma avant d'apprendre à lire et à écrire. A l'époque il y avait des films muets, des sérials, qui étaient majoritairement des westerns américains. Je n'ai appris que bien plus tard l'existence de Murnau, Von Stroheim et beaucoup d'autres. J'ai vraiment aimé le western américain, j'ai même été choqué d'apprendre, quand j'étais gamin, que j'étais italien et non pas américain (rires!). Ce que j'aimais beaucoup c'est que le western US représentait parfaitement les rapports qu'entretient l'individu avec son lieu de vie, en gros la rencontre entre l'individu et la société. Cette vision s'est ensuite "extrêmisée" dans les westerns italiens, comme s'ils étaient des fables.

Est-ce qu’au sein du western italien, vous vous considérez comme un réalisateur politisé?
Je me considère comme faisant des films avec des personnages. Le western est avant tout un genre contant la destinée d'hommes et de femmes, surtout de femmes (rires!). A ce sujet, je me rappelle d'une discussion avec mon ami Sergio Leone. Je lui disais: "Sergio, tu es merveilleux dans la manière dont tu racontes tes histoires, tu sais les rendre captivantes. Mais moi, je ne recherche pas uniquement à ce que l'histoire soit captivante, je cherche avant tout à expliquer le pourquoi et le comment, les motivations de mes personnages."

On peut tout de même dire que vous avez su imposer votre personnalité au sein d'un genre impersonnel, comment vous y êtes vous pris? Pour Le dernier face à face (Faccia a Faccia) par exemple...
Je me suis battu, j'ai résisté, mais bon, à cette époque tout était plus simple, nous étions portés par une vague, c'était une sorte d'époque idéale. Et en ce qui concerne Le dernier face à face, seul m'importait les personnages et leur évolution, cela aurait pu être autre chose qu'un western. Lorsque l'on dit que le western européen est impersonnel, cela est du au fait qu'à la base c'est un genre américain et que l'Europe, et plus particulièrement l'Italie, se l'est approprié. Mon approche du western est tout à fait différente, j'ai été très influencé artistiquement par le cinéma japonais, son rapport avec la nature, la dimension tragique des personnages telle qu'on la retrouve chez Kurosawa. Il est vrai qu'il était difficile d'imposer ce type de référence en Italie qui était différente de la culture traditionnellement italienne. Mais, je le répète, à cette époque le cinéma italien rencontrait un tel succès qu'il était plus facile de mener à terme des films incroyables dans tous les sens du terme.


Les budgets étaient donc tout autant incroyables...
Mais bien sûr, nous disposions de budgets importants, car durant cette époque nous faisions « Le » cinéma. Moi j'aime le cinéma français contemporain, son identité, c'est un cinéma d'auteurs et non de blockbusters. Aujourd'hui l'Italie ne rêve qu'aux blockbusters, ça ne peut plus durer! Je préfère rester optimiste et croire que d'autres qui partagent mon point de vue vont se réveiller. Tout cela est du à la désastreuse influence de la télévision italienne qui contribue à appauvrir le niveau culturel de mon pays. On nous dit de faire des films allant dans le sens du public, comment voulez vous faire de grands films en allant dans le sens du public? Il faut savoir le secouer, le surprendre, c'est là que réside la force du cinéma.

Vous parlez de périodes fastes, de moyens importants, mais enfin il faut une sacrée force de caractère pour, en une année, tourner deux monuments comme Colorado et Le dernier face à face
Pas spécialement, je vous assure que c'était très simple et surtout, ce n'était pas qu'une question d'argent. De plus les producteurs d'alors vous offraient non seulement de bonnes structures et du temps mais aussi des sujets intéressants. Je tiens à préciser que les deux films que vous avez nommés sont très personnels. Le dernier face à face est même le film que je préfère dans tous ceux que j'ai tourné. Quant à Colorado, piteux re-titrage, même si le scénario est signé Solinas, j'ai quasiment tout changé pour le mettre à ma sauce.

C'est également plus ou moins vous qui signez le script du Dernier face à face ?
C'est vrai que ce scénario est très particulier pour moi, il contient une part de moi-même, quelque chose d'autobiographique. Dans Le dernier face à face on constate une évolution à la fois parallèle et paradoxale des deux personnages principaux, on y retrouve une théorie qui m'est chère et dont je vous ai parlé précédemment, à savoir l'influence de l'environnement sur l'individu. Ainsi un individu peut devenir l'antithèse de lui-même en subissant une pression de la part du milieu dans lequel il évolue, j'ai bien connu ça dans ma vie personnelle. Ainsi au sortir de l'adolescence, sous Mussolini, et lors de l'occupation nazie en France, j'ai rejoint la ligue antifasciste. Et c'est ma fiancée de l'époque, qui pourtant m'aimait beaucoup pour ma personnalité, qui m'a dénoncé aux fascistes car son père était un éminent officier fasciste. Je suis donc entré encore plus dans la clandestinité en m'impliquant d’avantage dans la résistance. Je refusais que la liberté devienne une proie de l'intolérance des dictateurs en place. J'ai d'ailleurs compris, très jeune, que les gens préféraient être des esclaves et c'est toujours d'actualité. Aujourd'hui la liberté est devenue la proie de la globalisation libérale orchestrée par Berlusconi et tous ses sbires. La liberté est en train de devenir une marchandise, nous devons le refuser. J'ai également appris très jeune que l'on doit savoir prendre rapidement des décisions justes, car les conséquences peuvent être mortelles, vous savez on apprend beaucoup de choses en temps de guerre. Et donc le double changement de personnalité constaté dans Le dernier face à face est un peu une synthèse de tout cela, on y apprend que quelqu'un de respectable peut devenir détestable et que le pire des salauds peut s'humaniser lorsqu'une autre personne lui renvoie à la face la nature violente de sa personnalité. J'avais aussi pour but de bousculer le public qui au départ s'identifie à Millian. J'aime également que mes films s'ancrent dans une réalité historique d'où la présence de la horde sauvage et du shérif de la Pinkerton, l'ancêtre du FBI. De plus ce film était à la base plus une fresque, il faut savoir que son premier montage était de 2h30.



Parlez nous un peu de ses interprètes…
Il y avait Thomas Milian, que je qualifierai de "super latin" tant il est réellement excessif. Ainsi il est à la fois paillard, fêtard, intellectuel, queutard, c'est vraiment un "super latin", d'ailleurs j'ai noué une sérieuse amitié avec lui. A l'époque où je l'ai engagé, cet acteur n'avait joué que dans deux films intellos, il n'était pas la superstar qu'il est devenu ensuite. Cet acteur cubain est vraiment fascinant, capable d'être intériorisé, introverti et tout autant extraverti, ubuesque. Il jouait aussi bien dans des films intellos que dans des films populaires. Bien que très dur à diriger c'était vraiment un grand professionnel. D'ailleurs je me souviens que pour Le dernier face à face, il était sans cesse en conflit avec Gian-Maria Volonte. Volonte était quelqu'un de très introverti et très secret, il ne supportait pas l’exubérance de Milian (qui est de plus réellement schizo). Je me suis servi de leur antagonisme pour accentuer l'étrangeté de leur relation dans Faccia a Faccia, le caractère sexué, quasi homosexuel de leur relation se retrouve décuplé à l'écran, surtout lors de la scène clé du viol. Ce mélange de fascination et de répulsion présent chez les deux personnages m'intéressait particulièrement.

Milian c'est aussi Cuchillo…
Avec Cuchillo, je voulais créer le premier héros du tiers-monde, je voulais en faire une icône de la gauche italienne. Ce personnage de péon, à la fois voleur, menteur, plein de fantaisie mais aussi héroïque était taillé sur mesure pour Thomas.

Vous avez aussi dirigé d'autres stars comme Lee Van Cleef ou Oliver Reed…
Lee Van Cleef, c'est plus un physique qu'un acteur. Son registre n'est pas très étendu, il fait ce qu'on lui demande de faire et rien de plus. Je ne veux surtout pas être réducteur à son égard, c'est vraiment quelqu'un de très professionnel. Oliver Reed est par contre un acteur d'une toute autre classe, mais j'ai eu la malchance de réaliser Revolver au mauvais moment. Le film s'est planté, il est sorti en été, produit par le producteur du Ludwig de Visconti qui n'y croyait pas trop. C'était, de toute manière, la fin d'une époque, plus personne n'y croyait beaucoup en Italie, le créneau populaire italien était alors dans sa phase de déclin.

Et les femmes dans tout cela?
Vous savez, sans vouloir être arrogant, je me considère comme "pré-féministe", j'ai toujours donné beaucoup d'importance aux personnages féminins dans mes films et cela en bataillant souvent contre les producteurs. Je suis particulièrement heureux d'avoir fait découvrir Carole André (fille de Gaby André, star française de théâtre), une femme admirable. C'est moi qui l'ai imposé au producteur de Sandokan, je voulais un personnage féminin consistant dans ce film. Sandokan est d'ailleurs, lui aussi, une icône gauchiste, un défenseur des opprimés. Aujourd'hui cette oppression existe toujours, elle est d'ailleurs à l'origine, entre autre, du déclin, du cinéma italien et de toute la culture italienne en général. L'immonde Berlusconi et ses odieux compères ont détruit l'Italie en s'accaparant tous les outils de communication du pays. Aussi bien la musique (savez vous que Berlusconi est l'auteur compositeur des chansons qui caracolent en tête des hits parades italiens?), que la télévision, il a détruit le système de production du cinéma italien, il s'est accaparé l'information: ce type est un rustre.

Interview réalisée les 11 et 12 novembre 2001 au Festival International du Film d’Amiens par Admiral Lee & Hanzo


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