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vendredi 7 septembre 2012

Preview William Friedkin : Police Fédérale Los Angeles

Dans l'attente de notre prochaine émission qui vous présentera l'oeuvre de William Friedkin ainsi que son interview, une étude sur un de ses films phares : To Live And Die In L.A.



Dualités au soleil
Passé inaperçu lors de sa sortie française en salle en 1986, To live and die in L. A. est le onzième film de William Friedkin. Seul feu le magazine Starfix salut le troisième polar du réalisateur de The exorcist comme un authentique chef d'œuvre. Quand ils ne le traitent pas par le simple et pur mépris, la majeure partie des autres magazines ne signalent qu’un film policier de plus. Depuis, grâce en partie à la vidéo et à l'acharnement des thuriféraires de William Friedkin, le film est devenu culte auprès d'une large frange de cinéphiles. Comme habité par une véritable rage, William Friedkin signe ici l'une de ses œuvres les plus nihilistes, ainsi qu’une réussite technique et artistique qui compte parmi les plus remarquables des années 80.


Los Angeles par William Friedkin
Description réaliste du travail de la police secrète Américaine, To live and die in L.A. bouscule le cahier des charges du Film Noir et évite le piège du pamphlet à la gloire des agents du trésor. Dans le roman éponyme de l’ancien agent de la police secrète, Gerald Petievich, William Friedkin y voit matière à un polar urbain, portrait sans concession de Los Angeles. À l’intrigue basée sur l’expérience personnelle du romancier, le réalisateur y apporte sa touche personnelle par une narration des plus sèches et réussit à rendre un côté quasi-documentaire. L'envers d'une Côte Ouest, belle et proprette, souvent décrite comme paradisiaque est mis à nu. Jamais Los Angeles n'aura paru aussi sale et glauque. Les plages de sable fin laissent ici place à des usines qui crachent d’épaisses fumées noires, les marginaux, qu'ils soient avocats véreux, putains, tueurs à gages ou flics corrompus, se substituent aux filles en bikini des séries télévisées. William Friedkin démythifie une Amérique en proie au capitalisme des plus féroces de l'ère Reagan…
Conséquence d'un individualisme sauvage, c'est dans une extrême solitude qu'évoluent les personnages du film (Richard Chance, agent casse-cou qui veut venger un coéquipier assassiné par le faux monnayeur Rick Masters, et son partenaire, le légaliste et transparent John Vukovich). Ainsi, ils apparaissent isolés dans le cadre lors du générique de début, tous sont en quête de reconnaissance affective. Comme John Vukovich, délaissé par son co-équipier Richard Chance, est isolé par une focale courte au comptoir de quelque bar obscur. Le réalisateur laisse la caméra en retrait, évite tout misérabilisme et jugement manichéen. Les êtres dépeints dans le film sont tout ce qu'il y a de plus humains. Cependant, avec complaisance, ils se vautrent dans leurs déchéances.
Au spectateur incrédule, le réalisateur exhibe une véritable vue en coupe d'une ville malade, une cité d’anges déchus où la fausse monnaie, telle une gangrène, est le seul lien entre des êtres soumis à l'hégémonie du paraître. Dans un style qui n’est pas sans rappeler un reportage photos et des films d’archives, le générique montre malfrats et prostituées qui s’échangent les faux billets. Avec ses rapports d’argents et de sexe dénués de tout sentiment, Los Angeles, cité du pêché et de la luxure, baigne dans la chaleur étouffante et orangée du soleil grâce à une photo très stylisée de Robby Müller : le feu y brûle comme dans la géhenne sans que ses habitants y soient consumés.
Souligné par des panoramiques sur des cimetières de voitures et sur lesquels apparaît le titre, William Friedkin dépeint un enfer urbain d'où il est impossible de s'enfuir. Au générique de fin, une caméra subjective tente une percée par les voies qui mènent à l'extérieur de la ville. En vain ! Sur le bord de la route, au crépuscule, la caméra finit par s'échouer avant de laisser le titre faire une dernière apparition. Un gros plan sur le visage de Richard Chance, silencieux, clôt le film comme une ultime barrière à toute tentative d’évasion.
Entre ces deux parenthèses, les personnages évoluent dans une ville où les nombreuses et tentaculaires routes sont saturées de voitures, les rares espaces verts sont écrasés par des usines, immeubles rectilignes ou autres maisons à l’aspect identique… Des décors, dont l’utilisation rappelle Le désert rouge de Michelangello Antonioni, qui sont filmés comme des parties intégrantes des personnages. L'utilisation de focales courtes et de plans séquences met en perspective l'immensité de la ville et l’appartenance sociale de chaque personnage. Un long mouvement latéral plaque Jeff sur les murs graffités de son quartier. Richard Chance, perché sur le pont duquel il s'élance dans le vide, est filmé sur toute sa hauteur. Son impatience, à l'aéroport, est mise en évidence par un léger travelling en contre-plongée. Procédé similaire sur John Vukovich qui prend conscience de son devenir alors qu'il est sur le point d'assassiner Masters… La mise en scène, fluide et dynamique, utilise tous les ressorts de la caméra. Travellings, mouvements circulaires ou de grue, panoramiques font que les personnages sont suivis au plus près.
Si la caméra se fixe, c’est lors de plans de transitions, de pauses contemplatives sur des paysages urbains, des usines comme des projections des humeurs et de la psychologie des personnages. Cette influence Antonionienne se ressent en particulier avec le refus du surdécoupage. Chaque plan acquiert une dimension métaphysique qu’un montage cut achève de rendre âpre. Un procédé qui, avec le gommage de quelques images sur les impacts de balles sur les visages de Jim Hart et Richard Chance, décuple la brutalité des explosions de violence.
Ce choix du raccord cut ne restreint pourtant pas William Friedkin et sa mise en scène fourmille d’idées qui montrent à quel point il maîtrise sa narration. A la mort de Jim Hart, le fusil qui l'a achevé résonne sur le plan qui suit. Son écho, qui marque l’ellipse, se fond dans les cris des vautours qui tournoient dans le ciel. En deux plans vides de tout dialogue didactique, le metteur en scène convainc de son pouvoir de suggestion.


Danses d’amour, danses de mort
Dans l’équivalent d’une ouverture en iris, la couleur des billets américains du titre laisse la place au visage fardé de blanc d’une méconnaissable Bianca Torres. La fausse monnaie de Rick Masters corrompt les âmes, amène les personnes à se convertir en ce qu’elles ne sont pas : les flics deviennent des malfrats, les artistes des faux monnayeurs, les femmes des putains…
Symbole de passage et de mutations, le blanc évoque aussi la mort et le deuil. Et c’est tout de blanc vêtu, tels les condamnés à la peine capitale, que Richard Chance marche vers son rendez-vous avec Rick Masters. Dans une voiture claire, John Vukovich va passer de l’état de passif à celui d’acteur du drame. A force de se laisser conduire par Richard Chance, il ouvre le feu sur leurs poursuivants.
Sous les aspects d’un androgyne danseur, Bianca Torres embrasse Rick Masters à pleine bouche. Grâce à la magie du contre champ, sous la chevelure de jais rayonne une crinière rousse et, sous le maquillage clair, se dessine les traits de Bianca Torres. Bisexuelle au physique androgyne, petites fesses rondes et hanches absentes moulée par d’étroits pantalons, son personnage contrebalance l’idée que les femmes ne sont que les victimes de puérils concours virils et autres alibis auxquels se prêtent les hommes du film pour tromper leur homosexualité.
Ruthie, après avoir acheté sa liberté par un marché de dupes avec Richard Chance, vend son corps pour survivre. Dans l'ombre écrasante de ce protecteur opportuniste, elle glane diverses informations lors de ces passes. Séductions et soumissions sexuelles sont les bases des relations entre les personnages. Leurs motivations se résument à paraître pour plaire avec pour seule finalité de mieux entuber l’autre. Négociations et marchandages se font dans une salle de culture physique et au sauna, corps et muscles luisants de sueur exhibés comme ceux de vulgaires putains afin d'appâter, d'abuser l'autre. Sans que jamais la vérité ne transpire ; l'âme reste enfouie au plus profond. Entre attirance et répulsion, Rick Masters, le faux-monnayeur et Richard Chance, le flic, vont se confronter. Le faux monnayeur aime à glisser le canon de son revolver dans la bouche de grand Noir bien musclé, à reluquer des corps androgynes ruisselant de sueurs lors de spectacle de danses, à se filmer en train de sodomiser Bianca Torres.
Pour que Richard Chance bande, Ruthie doit enfiler le pull qu’il vient de retirer lors d'un scénario pré-établi de soumission sexuelle. Comme pour affirmer sa virile supériorité, il prend un réel plaisir à mettre son jeton de casino dans la bouche de Rick Masters. Et ce n’est pas un hasard si, lors de l’ultime confrontation, Rick Masters se substitue au reflet de Richard Chance dans le miroir de la salle de gymnastique, l’homosexualité latente et la sexualité équivoque faisant partie d’un jeu de reflets pour William Friedkin. Traits fins ou pommettes hautes, corps filiformes, les physionomies semblent similaires et interchangeables. Les échos, les plans qui se répondent participent à souligner la dualité des personnages…
Bien plus qu'un simple morceau de bravoure, la poursuite en voiture a une fonction identique. À ce moment, le récit bascule, franchit un point de non-retour. L’ambiguïté atteint son paroxysme, tant sur le plan technique que psychologique. Un mouvement de grue monté sur travelling et dans lequel est fondu un léger panoramique vers l'arrière à pour but d’égarer le spectateur : la caméra passe d’une voiture à l’autre. Laquelle suit-elle vraiment ? Blanche ou rouge, elles sont de marque identique et avec habileté, William Friedkin joue avec les points de vue. La caméra, placée tour à tour dans chacun des habitacles, ne dessine que les ombres des occupants. Déstabilisé, le spectateur ne peut jamais distinguer les poursuivis des poursuivants. Entre les deux, la limite est mince. L’issue de la poursuite se matérialise pour Richard Chance et son co-équipier par un sens interdit qu’ils empruntent, symbole, pour ces deux policiers, d’une ultime régression, d’une ultime frontière qu’ils franchissent. Du côté de la loi, ils passent dans l’illégalité la plus totale.


Le cercle du destin
La mort plane sur la cité des anges. Lors d’un explosif prologue, un terroriste se désintègre dans un ciel nocturne. Le martyr a fait long feu et ses cendres de s’éparpiller au-dessus d’une circulation ininterrompue et indifférente.
Comme pour aller à la rencontre de la mort, Richard Chance saute à l’élastique du haut d’un pont comme il se jettera sur le canon du fusil qui lui explosera le visage. À l'instar d'un enfant, il est inconscient du danger qu'il coure et fait courir aux autres. Il repousse sans cesse les limites jusqu'à les exploser. Planté dans ses jeans moulants, il regarde le monde de haut et porte peu d'attention aux autres. Avec l’arrivée de John Vukovich, jeune recrue intègre et pleine d'illusions, au milieu de son enquête, il croit son projet de vengeance voué à l'échec. Obnubilé par celui-ci, Richard Chance exerce sans le savoir un étrange pouvoir de fascination sur son innocent et maladroit partenaire qu’il finit par modeler à son image.
Le poids de sa propre faillite artistique amène Rick Masters à regarder, tel un narcisse torturé, se consumer l’autoportrait qu’il a incendié. Si ses faux billets, produits de son labeur, ne peuvent acheter la mort d'un homme, il préfère leur faire subir le même sort. D’abord reflets d’un contrat mal exécuté, ils représentent surtout la trahison et l’échec qui le prive d’être reconnu comme un artiste.
La mort de ces deux personnages, jumeaux dans la haine, ne marque pas un terme au maléfice de la rancune. Construit tel un cercle sans fin, le film montre le Mal comme un virus qui se transmet de façon infinie sans qu’il puisse être éradiqué. La spirale de l’insatiable appétit de vengeance et, de façon paradoxale, le désir de vaincre le Mal procure à celui-ci un terrain facile à conquérir. Ainsi, Jim Hart, malgré sa mort solitaire, lègue à Richard Chance sa ténacité à arrêter Rick Masters. Une obsession qui le dévore de l’intérieur jusqu’à devenir une tenace rancune.
Après la mort de Richard Chance, John Vukovich sort de l’ombre avant de partir, armé du revolver que son collègue décédé lui a transmis, pour accomplir son destin. Le soleil s’élève sur Los Angeles et laisse apparaître un nouveau John Vukovich. Dans cette séquence finale, la musique, très présente, n'a pas qu’un rôle illustratif. A chaque coup de cymbales correspond une attaque irréversible sur le mental de John Vukovich. Aux teintes orangées du feu qui dévore chaque recoin de l’imprimerie de Rick Masters se mêlent les plaintes des âmes corrompues par la fausse monnaie de Rick Masters. Dans cette ambiance infernale, le crédule John Vukovich meurt sous les coups de bâton du faux monnayeur pour renaître tel un être corrompu et animé par la haine.
Dans la séquence suivante, par un jeu de lumière et d’angles de caméra, William Friedkin rend parfaite l’illusion de voir Richard Chance se profiler le long de la maison de Ruthie. Silhouette, coiffure et tenue vestimentaire font de John Vukovich la réplique exacte de son défunt collègue. Et, dans un dernier plan, l'horizon dégagé qui s’offrait à Ruthie se retrouve à nouveau obscurci par le 4x4 de Chance. Telle une bête à l’affût…


Thomas Roland



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