Ce blog est celui de l'émission radiophonique Culture Prohibée. Produite et animée par les équipes des Films de la Gorgone et de Radio Graf'Hit, elle vous invite, chaque semaine, à découvrir divers aspects de la contre-culture à travers des émissions thématiques (le mouvement beatnik, le polar, la presse cinéma, le rock alternatif, le giallo, etc.) et des rencontres passion-nantes (interviews de Dario Argento, Bertrand Tavernier, Philippe Nahon, Costa-Gavras, etc.). Culture Prohibée est une émission hebdomadaire d'une heure diffusée le mardi à 17H sur les ondes de Radio Graf'Hit (rediffusions le samedi à 10H et le dimanche à 23H). L'émission est également diffusée sur d'autres antennes : Radio Active 100 FM à Toulon, Radio Ballade à Espéraza, Booster FM à Toulouse, C'rock Radio à Vienne, Radio Valois Multien à Crépy en Valois , Résonance à Bourges et Radio Panik à Bruxelles.
Ce blog constitue un complément à l'émission en vous proposant des interviews inédites, des prolongements aux sujets traités à l'antenne ainsi qu'un retour détaillé sur les sorties DVD et bouquins que nous abordons "radiophoniquement". Autre particularités du blog, vous fournir le sommaire détaillée ainsi que la playlist de chaque émission. Pour plus d'infos, vous pouvez vous connecter sur le FB de l'émission en cliquant ici. Vous pouvez écouter et télécharger l'émission sur le site des Films De La Gorgone.
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lundi 18 mai 2020
Interview de Kenny Bernard réalisateur des courts métrages Le Bobo et le clochard et The Cure
Traditionnellement, lors de chaque saison de Culture Prohibée, nous vous proposons une émission consacrée à l’art du court-métrage. Généralement, nous mélangeons l’évocation de productions professionnelles et indépendantes. Parmi les courts visionnés cette année, nous avons découvert ceux de l’autodidacte Kenny Bernard. Deux de ses productions nous ont particulièrement interpellées, Le Bobo et le clochard, qui voit un jeune yuppie subir la vengeance d’un sans domicile fixe, et The Cure, œuvre virale filmée pendant le confinement. Bien que réalisé sans un sou en poche, ses deux péloches s’avèrent bénéficier d’un découpage de qualité et d’une direction d’acteurs sans faille. Faute de pouvoir inviter Kenny Bernard dans notre studio, toujours fermé en raison de la crise sanitaire, voici un échange que nous avons eu avec lui par mail.
Le point de départ de Le Bobo et le clochard (2018) est un golden boy "en marche" échappé de la "start-up nation" qui ne veut pas donner une pièce à un clochard. Il lui conseille même d'aller chercher du boulot. Quelle place tient la satire dans ce que vous faites ?
La satire tient une place très importante dans mon œuvre. Ce court métrage part d'une situation qui n'a rien de drôle, qui est même carrément sinistre. Il me fallait donc la désamorcer quelque peu pour que ça colle avec le ton comédie noire, le côté cartoonesque du film. Je n'ai pas conçu le personnage du bobo comme une représentation réaliste de la classe privilégiée. C'est plus une caricature. Le clochard non plus n'est pas une représentation réaliste de la classe défavorisée, puisqu'en fin de compte, il joue un jeu. Je ne me vois pas comme un donneur de leçon, et ça ne m'intéressait pas de faire un film qui se limite à une opposition "gentil pauvre / méchant riche". Trop facile. C'est plus un film sur l'hypocrisie en général : les deux protagonistes avancent masqués. Le bobo va à la messe pour se donner un air respectable et le prêtre se déguise en clochard pour susciter la pitié. Il est d'ailleurs ironique que le bobo meurt parce qu'il s'est montré tel qu'il est vraiment, alors que le clochard dissimule jusqu'au bout sa vraie nature. Ça ne me déplairait d'ailleurs pas de le réemployer dans une séquelle, voir un long métrage basé sur ce court... La satire compte pour moi car elle me permet d'une certaine manière de pratiquer une forme d'humour, ingrédient dont on pourrait dire qu'il manque à la plupart de mes scénarios. Il est vrai que je suis plutôt porté sur les sujets sombres, mais je n'en apprécie pas moins la comédie. En tant qu'acteur, je suis surtout employé dans des rôles comiques et faire rire le public est un privilège. Mais il faut véritablement avoir un don pour ça, tout comme il faut en avoir un pour écrire le scénario d'une bonne comédie. Ecrire une pure comédie est un défi très intimidant pour moi. Alors, en attendant de trouver la force de m'y atteler, j'essaie de distiller dans mes scénarios actuels une touche d'humour par le biais de la satire.
Le Bobo et le clochard démarre par une référence à Etienne Chatiliez. Quels sont les films et réalisateurs qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?
Si j'ai choisi de faire siffler cet air au prêtre/clochard, c'est surtout qu'il me fallait un air entraînant qui évoque tout de suite l'église et que c'est le premier qui m'est venu à l'esprit ! Au niveau des influences cinématographiques, elles sont à chercher d'abord dans les dessins animés. Je dirai qu'une des premières est un passage bien précis du Blanche Neige de Walt Disney : celui où l'héroïne s'enfuit dans la forêt et croit voir les arbres et les racines autour d'elle se transformer en monstres menaçants. C'était mon premier contact avec le monde de l'épouvante mêlé à celui de la féerie, et c'est un mélange que j'adore véritablement. Ensuite, il y a eu la série animée des Aventures de Tintin en 1992, avec l'épisode Les Sept boules de cristal, qui m'a considérablement traumatisé avec, là encore, une atmosphère proche de l'épouvante liée au personnage de la momie inca Rascar-Capac et à l'histoire de malédiction. Là, c'est le mélange horreur/polar qui m'a marqué, et c'en est également un pour lequel j'ai une grande affection. Pour les films, mes deux plus grands chocs de jeunesse furent sans doute Terminator 2 et Jurassic Park. C'est avec eux que j'ai pris conscience de la magie du cinéma, de la puissance émotionnelle que pouvaient transmettre les images ainsi que les effets spéciaux. Sans doute est-ce à partir de là que j'ai décidé - même inconsciemment - que je ferai des films plus tard. Au niveau des réalisateurs que j'admire et qui m'inspirent le plus, il y en a tellement et j'en ai encore tant à découvrir ! Mais si je devais faire un top 10 pour le moment, je dirais : Quentin Tarantino, Oliver Stone, Tim Burton, Jean Rollin, Albert Dupontel, Olivier Marchal, Jean Becker, Robert Bresson, Yasujiro Ozu et Dario Argento. J'ai une affection particulière pour Jean Rollin car, malgré les difficultés de plus en plus grandes pour faire produire ses films, il est resté jusqu'au bout fidèle à son style si particulier, empreint de poésie, qui pouvait déplaire mais que personnellement j'adore. J'aurai tant aimé tourner pour lui...
The Cure, avec son médecin détenant une information importante concernant un virus ravageant la planète, que vous avez réalisé pendant le confinement avec pas mal de contraintes techniques, s'appuie sur l'actualité. C'est important, pour vous, de parler du monde qui vous entoure à travers le cinéma de genre ?
Absolument. Je ne peux pas écrire sans m'inspirer, même à un degré minime, d'événements réels. Le Bobo et le clochard prenait déjà pour base un fait réel survenu aux USA - pas aussi dramatique que ce qui est décrit dans le film, loin de là. Néanmoins ça m'avait marqué, et je m'étais dit qu'il serait intéressant de faire un film inspiré de cet événement. La base de mes histoires est bien souvent un fait divers ou un événement marquant tel que le confinement que nous avons vécu, et à partir duquel je construis mon histoire. J'ai un grand attrait pour l'Histoire et je voudrai, à l'avenir, écrire des scénarios traitant de personnages et/ou d'événements historiques des siècles passés. Mais il me faudrait vraisemblablement l'aide d'historiens, de journalistes spécialisés...afin de bien traiter mon sujet.
Dans ces deux courts métrages, vous pratiquez le mélange des genres : Humour, horreur, satire sociale, SF. En quoi ce mélange est important pour vous ?
Comme je l'ai indiqué plus haut, j'ai découvert le mélange de genres grâce à ce passage dans Blanche-Neige et à l'épisode de Tintin. Ça a beaucoup marqué l'enfant que j'étais. Sans doute ma volonté de mélanger plusieurs genres dans mes propres films résulte-t-elle, en partie, de ces deux traumatismes de jeunesse. Sinon, un de mes films préférés est Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez d'après un scénario de Quentin Tarantino, qui démarre comme un polar classique avant de se transformer en film d'horreur dans la seconde partie. C'était plutôt bien fichu et ça permettait aux auteurs de rendre hommage à la fois à leurs réalisateurs de polars et de films d'horreur favoris. J'espère faire de même avec mes propres mélanges, sans pour autant négliger le scénario. Car rendre hommage à ses maîtres, c'est bien mais ça ne compensera jamais une histoire bancale. Enfin, fut un temps je lisais beaucoup de bandes-dessinées. Dans pas mal d'entre elles, je constatais un mélange des genres - notamment Thorgal qui mêle entre autres les genres héroïc-fantasy, péplum, horreur... Ça m'a sans doute également inspiré.
Dans vos films, il y a une grande variété de plans, un découpage soigné, je suppose que votre méthode de travail passe par un storyboard très précis ?
Tout à fait. Pour tous mes films, j'ai conçu moi-même le storyboard, et le résultat à l'écran est à chaque fois à 98,99% ce que j'avais imaginé au départ. Le storyboard est pour moi un outil indispensable. Je ne peux imaginer, surtout sur un tournage rapide et sans budget, débarquer le premier jour sans savoir où placer la caméra. Il est primordial pour le réalisateur de montrer à son équipe qu'il sait où il va et qu'il est au minimum organisé. Un des jeunes techniciens sur Le Bobo et le clochard, qui avait déjà participé à des tournages avant, m'a dit qu'il avait rarement vu un tournage aussi bien préparé que celui-là. Pour moi, c'était le plus beau compliment.
Quelle est la réalité budgétaire de vos courts - sachant que vous précisez avoir réalisé Le Bobo et le clochard pour 65 Euros ? Arrivez-vous à susciter l'intérêt de producteurs ?
Pour Le Bobo et le clochard, ce chiffre est bien le budget réel. Les techniciens disposaient déjà de leur propre matériel, je n'ai donc rien eu à débourser de ce côté-là. Les seules dépenses ont été pour les costumes du prêtre et de la nonne, pour un pot de faux sang ainsi, bien sûr, que pour les repas. Pour mes 4 autres films, ils n'ont strictement rien coûtés. J'ai occupé tous les postes techniques et parfois même je jouais dedans, c'était donc assez rocambolesque. Mon seul regret est que je les ai tournés au caméscope, d'où une qualité d'image qui fait très amateur, et sans micro ce qui, évidemment, donne finalement un son pas top. Pour The Ascent, qui est entièrement muet, ce n’était pas un souci mais pour The Cure c'est plus gênant. Mais je suis en train de retravailler le film pour essayer de corriger ce problème au mieux. Il est dit que "le cinéma, c'est de l'argent". Du coup ceux qui n'en ont pas ou peu hésitent à se lancer pour faire un film, et finissent par ne rien faire à moins de trouver un producteur. Moi, je me suis lancé parce que j'avais plus peur de ne rien faire que de le faire avec les moyens du bord, pour un résultat imparfait. Alors certes, le résultat est loin d'être parfait, mais il est là. C'est ce qui compte. Finalement, je me situerai dans la mouvance d'un Ed Wood qui disait pour sa part : "Qu'importe les moyens, pourvu qu'on ait le film !" Si je ne devais devenir que le "Ed Wood français", je n'aurai rien contre. Ça serait toujours mieux que rien... Après, évidemment que j'aimerais qu'on me donne de l'argent pour faire mes films. Même pas beaucoup. Et puis, sans producteur derrière, c'est quasiment impossible pour un film d'être diffusé. Mais vu les univers que j'affectionne, je crains que mes scénarios ne rebutent les sociétés de productions françaises plus qu'ils ne les attirent. Dernièrement, une personne influente à qui j'avais envoyé un de mes scénarios, mélange de fantastique et de fantasy, m'a fait la réponse suivante : "En France, on ne sait pas faire ce genre de films". Voilà le genre de commentaire qui me hérisse. Car qui est ce "on" dont cette personne parle ? Les réalisateurs d'hier ? Ça serait faux, puisque notre cinéma a livré à une époque des chefs-d’œuvre du cinéma de genre. Les réalisateurs d'aujourd'hui ? Peut-être. Encore que certains demanderaient sûrement à pouvoir œuvrer dans le film de genre, pourvu qu'un producteur leur fasse confiance. Et ceux de demain ? On ne peut pas savoir à l'avance ce qu'ils sauront faire ou pas. Le problème du cinéma français actuel, à mon sens, c'est qu'il ne s'autorise plus à rêver comme ça a pu être le cas à une époque. Ce qui importe avant tout, c'est qu'un film rapporte de l'argent. Et comme les films d'auteurs, les mélodrames et les comédies rapportent le plus chez nous, alors les producteurs feront toujours passer le cinéma de genre au second plan si ce n'est au troisième. On préfère les valeurs sures à la prise de risque. Et vu la période catastrophique que le cinéma Français a connu ces 2 derniers mois à cause du confinement, il est à craindre que ça ne change pas de sitôt.
Un autre souci, c'est celui du culte de la formation en France. Si un aspirant réalisateur débarque sans être passé au préalable par une grande école de cinéma et sans diplôme, alors forcément on va hésiter à lui confier un budget pour réaliser ne serait-ce qu'un court métrage. Là, c'est déjà plus compréhensible, mais il n'empêche qui si le gars sait écrire un scénario, qu'il a des idées très précise sur le style qu'il veut donner à son film et qu'il s'y connaît au minimum sur le plan technique, je pense qu'il mérite quand même d'avoir sa chance. Et là, je ne parle pas forcément pour moi. Je pense d'ailleurs que dans mon cas, il faudrait que j'approfondisse mes connaissances techniques avant de me présenter à un producteur. Mais il y en a sans doute d'autres, plus doués que moi et tout aussi motivés, qui espèrent qu'on leur donnera leur chance... Il n'empêche que j'ai déjà envoyé certains de mes scénarios à des boîtes de production. Hélas, les rares qui étaient centrées sur le cinéma de genre ont fermé, du coup je me tiens au courant de l'actualité dans l'espoir que de nouvelles ouvriront à l'avenir. Mais je sais aussi que je ne dois pas me limiter à la France. Mon univers a peut-être plus de chances d'intéresser à l'étranger, comme en Belgique par exemple. Il y a plus de fous, là- bas ! Ou sinon en Angleterre, un pays que j'affectionne beaucoup puisque c'est celui de la Hammer Films. L'année dernière je suis entré en contact avec un réalisateur français qui avait ouvert une société de production à Londres, spécialisée dans le cinéma de genre. En septembre dernier, sachant qu'il devait participer à un festival de cinéma, je m'y étais rendu en grande partie pour le rencontrer et discuter projets. Malheureusement, il s'est avéré qu'il était malade et n'a donc pas pu venir...J'espère qu'une nouvelle occasion se présentera bientôt. Le moyen le plus sûr pour se faire remarquer pour l'instant reste donc les festivals. J'envoie mes courts partout dans le monde, les plus aboutis du moins. J'aimerai bien envoyer The Cure, mais j'attends de corriger le problème de son avant. Et il faudra sans doute aussi que je le sous-titre en anglais comme je l'avait fait pour Le Bobo et le clochard.
Vous interprétez des méchants dans les deux courts que nous venons d'évoquer, c'est une vocation chez vous ?
Complètement ! Les méchants sont les meilleurs rôles, c'est bien connu ! Et puis comme je l'ai dit, on a souvent tendance à me donner des rôles comiques, alors ça me change. J'ai un immense plaisir à jouer les salauds, veules, lâches, hypocrites...j'en redemande !
Quels sont vos projets ?
J'ai écrit une nouvelle pièce de théâtre pendant le confinement, que j'aimerai bien mettre en scène. Ça serait mes débuts dans la mise en scène de théâtre. J'ai aussi de nouveaux scénarios sur le feu, un nouveau court métrage à tourner dans le cadre des projections Kino de Grenoble, un autre plus ambitieux que j'espère également réaliser bientôt...Et aussi, toujours ce projet de long métrage qui serait réalisé sans trop de moyens, et pour lequel il me reste à motiver des gens !
Hanzo
Les photos 1, 2 & 6 de Le Bobo et le clochard sont l'œuvre de Naoko Olivier.
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