lundi 12 août 2019
Commando spatial la fantastique aventure du vaisseau Orion débarque en DVD chez Rimini Editions
Star Trek Vs Raumpatrouille
En 1981, juste après le choc visuel de 2001 l’Odyssée de l’espace, Silent Running et Star Wars, Star Trek la série télé avec son look sixties gentiment psychédélique arrivait sur le petit écran français. Drôle, mais manquant parfois d’intérêt véritable, contrairement aux Envahisseurs et au Prisonnier, Star Trek avait cependant de réels atouts : cette jouissance de proposer des voyages dépaysants avec l’aide des plus grands auteurs de la science-fiction. Tout le monde sait aujourd’hui l’engouement qui s’empara de la jeunesse française d’alors pour ce séduisant gadget. Nous n’avions plus notre compte d’évasion, de territoires vierges à explorer. Il nous fallait des Quatrièmes dimensions, des Outer Limits, des Voyages au cœur du temps. Après un léger flottement, comme aux Etats-Unis quinze ans plus tôt, se produisit en France le même phénomène avec Star Trek : un rejet, puis un bruyant regain d’intérêt. Des foules de gamins se transformaient alors en trekkies. L’enthousiasme des audacieuses années soixante nous ravissait, difficile d’oublier les oreilles de Monsieur Spock ou la très glamour lieutenant Uhura (cf. photo ci-dessous).
Les films et les séries d’anticipation se sont ensuite accumulés, plus impressionnants les uns que les autres : Galactica ancienne et nouvelle génération, Babylon 5… Les effets spéciaux évoluent sans cesse, mais la SF, où est-elle ? Quel nouveau regard nous apporte-t-elle ? Alors que se posait cette question, la chaîne Ciné Cinéma Classic diffusa en novembre 2009, quarante ans après son passage sur l’ ORTF, la coproduction franco-allemande Commando spatial, la fantastique aventure du vaisseau Orion (Raumpatrouille, die phantastischen abenteuer der raumschiffes Orion). Depuis, cette série culte en RFA semblait ne pas susciter d'intérêt chez les éditeurs français. Heureusement, en 2019, Rimini Editions répare enfin l'erreur. Petit flashback en 1966, c'est là que sortait des studios allemands Bavaria cette série de SF psychédélique réalisée par Rolf Honold. A l'époque, une novellisation française éditée par Raoul Solar en est tirée par René Barjavel et Pierre Lamblin. Tournée au même moment que Star Trek, Commando spatial brillait surtout par ses audaces esthétiques ; n’oublions pas que les Allemands nous ont apporté l’expressionnisme, le Bauhaus, et le futurisme.
Minorité(s) report
Si l’on entame une comparaison entre les deux séries de l’époque, Star Trek et Commando spatial, on note certaines différences. Les personnages féminins de Star Trek, créés par Gene Roddenberry, se libèrent à peine de l’emprise machiste. A part les sirènes et autres magiciennes, parfois vicelardes et manipulatrices, les autres femmes seraient plutôt des ingénues fleur-bleue. Une femme dans chaque astroport, naïve, potiche. La bombe sexuelle Uhura, cantonnée au service des communications du vaisseau, voit ainsi bondir son palpitant à chaque fois que le capitaine Kirk l’effleure innocemment. A l’inverse, les créatures rugissantes et narquoises de Commando spatial, à l’extrême rigueur vestimentaire très SM, profèrent des remarques acerbes avec la sécheresse d’une lame de couteau. Princesses d’un autre temps, ces Eva Pflug (cf. photo ci-dessus) ou Christiane Minazzoli (cf. photo ci-dessous) ont des allures de top-modèles, de robots sexuels. Une révolution féministe a-t-elle eu lieu dans les cerveaux des créateurs de Commando spatial? Loin d’être les plantes décoratives des séries de l’époque (et d’après), les femmes développent ici tout un potentiel : elles sont plus mûres, plus raisonnables que leurs comparses mâles.
Dans l’épisode Les Bricoleurs du soleil, Elle, la chef hors-la-loi, est une Che Guevarra qui s’habile chez les grands couturiers, une reine s’opposant à l’impérialisme au risque de déstabiliser tout le système solaire. Finalement, la raison prendra le dessus, et Elle rangera son orgueil dans sa poche pour protéger l’institution. Les femmes habitant cette planète Croma prendront les rênes du pouvoir, refusant de le laisser aux « politiciens hommes ». Encore une preuve du pouvoir parfois prophétique de l’anticipation (le mouvement féministe ne s’organisera vraiment qu’au début des années 1970, soit quelques années après Commando spatial). Ce qui fait le charme réel de la série, c’est avant tout sa fraîcheur, son humour, sa naïveté. On peut certes parler de préjugés « raciaux » à l’encontre des robots et des monstres. A l’époque, les martiens et consorts remplacent les indiens dans les rôle des méchants, des autres qui nous font peur et qu’on ne comprend pas. Quel est à ce titre le rôle exact de René Barjavel ? L’écrivain de SF, chargé de l’adaptation française de la série, pâtissait en effet d’une image ambiguë. Ancien du journal collaborationniste Je suis partout pendant l’Occupation allemande, ses écrits auraient véhiculé une vision de la société idéale proche pour certains du fascisme et de l’Etat policier (refus du progrès, retour à la terre…).
Design & SFX made in Germany
Les effets spéciaux sont gentiment raillés par Mad Movies ou Télérama, et n’ont pourtant pas à rougir devant ceux de Star Trek ou des Envahisseurs. Le vaisseau Orion, avec son pied d’atterrissage télescopique, les navettes, les robots, les monstres, tous ces effets ont le charme et la maladresse technique, voire la naïveté, sûrement due aux tâtonnements du matériel d’une télévision encore balbutiante, pourtant dotée de moyens importants pour l’époque (pour se faire une idée du travail de sape des produits de l’imaginaire exercé par les responsables audiovisuels hexagonaux de l’époque, vous pouvez vous référez au livre de Jacques Baudou, Merveilleux, Fantastique et Science-Fiction à la télévision française-Huitième art éditions). Les scaphandres ressemblent peut-être à des cloches à fromage, mais Orion est une superbe création, avec ses chaloupes spatiales aux hublots globuleux accrochant si bien la lumière des étoiles. Le mobilier hésite lui entre l’école d’avant-guerre expressionniste et futuriste allemande, les tendances atomiques des années 1950 et l’explosion psychédélique des sixties. A conseiller à ceux qui vénèrent les innovations graphiques de Jean-Claude Forrest pour les décors de Barbarella(Roger Vadim-1968), ou les trouvailles du Prisonnier, tel le siège-bulle du deuxième épisode.
Aussi chers amis de l’imaginaire, je vous suggère de ne pas réduire Commando spatial à son esthétique un peu datée et brouillonne (toute esthétique n’est-elle pas par définition datée, voir le design de ces trente dernières années ?) et interrogez-vous plutôt sur sa modernité, son universalité et les évidentes fulgurances de certaines allégories. La SF a ceci de particulier qu’elle développe plusieurs principes, qu’elle permet de contempler plusieurs facettes, plusieurs variantes, des multitudes de concepts, d’univers, de définitions. Elle fait sauter les barricades, ouvre des portes, ôte des œillères. Commando spatial, c’est la SF légère des sixties, un conte de fée parfois naïf mais enthousiaste sur l’avenir des hommes. Et terriblement rafraîchissant à l’heure où l’anticipation actuelle étouffe l’onirisme (autrement dit sa raison même d’exister) sous un besoin absolu de réalité.
Antoine Cervero & David Verhaeghe
Merci à Jean-Pierre Vasseur, vous retrouverez Commando Spatial dans nos émissions de rentrée de Culture Prohibée.
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