Il Profumo Della Signora In Nero
Origine : Italie
Année : 1974
Un film réalisé par Francesco Barilli
Avec Mimsy Farmer, Mario Scaccia, Maurizio Bonuglia...
Edité en DVD Zone 2 (version anglaise ou italienne) cher Raro Video (2005), inédit en France.
Silvia Hacherman (Mimsy Farmer, vue dans Quatre mouches de velours gris de Dario Argento - 1971) est une jeune chercheuse en chimie qui consacre beaucoup de temps à son travail et vit seule dans un grand appartement à Rome. Elle fréquente Roberto avec qui elle se rend un soir à une répétition chez un célèbre professeur africain qui intrigue la jeune femme en lui parlant de magie noire et de rituels vaudous. Le lendemain, Silvia semble encore perturbée par la conversation et commence à être victime d’hallucinations : sa mère mystérieusement décédée lui apparaît à plusieurs reprises ainsi qu’une petite fille ; puis à se sentir menacée par son environnement. La mort inattendue de son amie et voisine Francesca, terrassée par une crise cardiaque dans son bain persuade Silvia qu’un complot meurtrier a été fomenté par ses voisins et qu’elle en est la prochaine victime.
Tristement inédit en France, le film est le premier long métrage du peu prolifique Francesco Barilli à qui l’on doit le scénario (co-écrit avec Massimo d’Avak) du vénéneux giallo d’Aldo Lado Qui l’a vue mourir ? (1972) et la réalisation du giallo d’épouvante Pensione paura avec Luc Merenda (1977). Le parfum de la dame en noir peut sans peine être qualifié d’œuvre « hybride » dans la mesure où l’on y retrouve à la fois des éléments du giallo, des thèmes appartenant au fantastique et la structure d’une étude psychologique. Disons-le d’emblée : le film ne présente ni mystérieux assassin ganté ni scènes de meurtres graphiques et stylisées ni « whodunit » ce qui l’éloigne à priori de la catégorie « giallo ». Cependant on y trouve clairement la même ambiance délétère (l’immense appartement de Silvia semble à tout instant habité par une présence potentiellement dangereuse), l’importance donnée au thème du trauma infantile (la jeune femme est hantée par des souvenirs d’enfance mêlant sexualité et acte meurtrier), le traitement fétichiste des objets (la poupée ou la boîte à musique que Silvia a conservées comme des talismans) et de certaines parties du corps (l’œil de l’héroïne plusieurs fois filmé en très gros plan). L’atmosphère « giallesque » se teinte de fantastique au travers des apparitions (fantômes ? machination ?) qui assaillent Silvia et par l’évocation en filigrane de thèmes qui ressortissent à la sorcellerie et à l’envoûtement dont pourrait être victime la jeune femme. Mais c’est bien le portrait psychologique de cette dernière qui structure tout le film et le rend si précieux, en même temps qu’il l’éloigne de la caractérisation souvent sommaire à l’œuvre dans la plupart des giallos.
Etude approfondie d’une âme tourmentée, Le parfum de la dame en noir convoque l’esprit de deux films « mentaux » de Roman Polanski, Répulsion (1965) et Rosemary’s Baby (1968) dont les héroïnes blondes et névrosées, respectivement Catherine Deneuve et Mia Farrow, ont clairement servi de modèles pour le personnage interprété par Mimsy Farmer. Cette influence revendiquée semble d’ailleurs s’être inversée car plusieurs scènes du long métrage italien (le travestissement du personnage principal, sa paranoïa grandissante, son attirance pour le vide…) paraissent préfigurer celles d’un autre chef d’œuvre de Polanski tourné deux ans plus tard, Le locataire . La modernité et la richesse du film de Francesco Barilli apparaissent de manière éclatante dans le choix audacieux de faire se rencontrer puis d’entremêler de façon inextricable ce qui relève du réel et ce qui a trait au rêve ou au fantasme. La dimension onirique (les rencontres puis les dialogues de Silvia avec une petite fille probablement imaginaire, les apparitions ou disparitions soudaines et inexpliquées de plusieurs personnages énigmatiques…) finit par contaminer le récit au point de brouiller tout repère logique. L’emploi d’une narration peu linéaire (nombreux flashes-back, possibles flashes-forward…), la volonté du réalisateur d’étirer des scènes sans résolution et de ne donner au spectateur que de rares indices plutôt sibyllins (voir la scène de la cérémonie mortuaire pour Francesca, l’amie de Silvia) achèvent de faire du film une sorte de rêverie poétique et absurde. Il n’est donc pas fortuit de retrouver dans Le parfum de la dame en noir de nombreuses références (presque des transpositions libres) à l’univers d'Alice de Lewis Carroll ; la variation macabre autour de « Un thé chez les fous » est peut-être la plus réussie car la plus déconcertante.
Une influence picturale nourrit également le film qui travaille chaque plan comme une composition où formes, lumières et couleurs sont harmonieusement agencées. Les espaces clos qui forment l’essentiel du décor du métrage sont autant de tableaux à l’intérieur desquels Silvia semble doublement emprisonnée, à la fois dans des cadres aux lignes géométriques fermées et dans son univers mental entièrement replié sur lui-même. La recherche plastique est toujours ici en adéquation avec le fond, à l’image de ces séquences où la fragile héroïne porte une tenue cuivrée semblable aux teintes de la pièce dans laquelle elle évolue : Silvia paraît alors se fondre dans le décor ou même être « aspirée » par celui-ci. Le motif de la disparition/désintégration est de fait central, comme le confirmera l’incroyable « twist » final qu’on ne peut bien sûr pas révéler… Même remarque en ce qui concerne la profusion de plans où figurent glaces et miroirs et qui, au-delà de leur valeur esthétique, symbolisent le motif du dédoublement/schizophrénie qui est également essentiel dans le film. Si Le parfum de la dame en noir repose en partie sur une approche psychanalytique, il s’agit avant tout d’une œuvre sensitive, parfois hermétique qui parvient à transcender ses influences (les premiers giallos de Dario Argento, Rosemary’s baby, Toutes les couleurs du vice de Sergio Martino, 1972) et à s’imposer dans la catégorie des chefs-d’œuvre injustement oubliés du cinéma de genre italien.
Alexandre Lecouffe
Effectivement très bon film qui j'espère finira par être bientôt édité en blue-ray avec une copie à la hauteur. En tout cas merci pour cette très intéressante chronique.
RépondreSupprimerPensione paura(1977) du même réalisateur est sympa aussi