mardi 30 juin 2020
Jeu-concours Elephant Films : Blue Collar de Paul Schrader à gagner !!!
Surveillez bien la page Facebook des Films de la Gorgone-Culture prohibée, en effet, grâce à notre partenaire Elephant Films, nous organisons un concours qui va vous permettre de gagner un exemplaire de l'excellent Blue Collar (1978) de Paul Schrader : Soyez attentifs !!!
jeudi 25 juin 2020
Dans Culture Prohibée cette semaine : Emission spéciale sorties bouquins et vidéos de l'été
Retrouvez cette semaine Culture Prohibée sur les antennes de nos radios partenaires (cf. liens ci-contre dans la rubrique "Nous écouter sur votre poste de radio").
Au programme de votre émission préférée consacrée à l'actualité de la culture pas nette du ciboulot, une spéciale sorties bouquins et vidéos de l'été, le sommaire :
-Laff Lafrikain la vie au village de Moss, parue chez L’Harmattan BD ;
-Sale Week-End, un hors-série de la saga Criminal paru chez Delcourt signé Ed Brubaker au scénario ainsi que Sean et Jacob Phillips au dessin ;
-Lovecraft Country de Matt Ruff édité par 10/18 ;
-8865 de Dominique Legrand paru chez Hugo New Way ;
-Entretien avec Dominique Legrand ;
-La trilogie Psycho-Pass : Sinners of the System de Naoyoshi Shotani (Kana Home Video) ;
-Justice League Dark : Apokolips' War de Matt Peters et Christina Sotta (Warner Home Video) ;
-L’Ecume des jours de Charles Belmont (L’Eclaireur) ;
-Tootsie de Sidney Pollack et Phil Tippett des rêves et des monstres de Gilles Penso & Alexandre Poncet (Carlotta Films) ;
-L'Etoile du silence de Kurt Maetzig, Signal une aventure dans l'espace de Gottfried Kolditz et Vij ou le diable de Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchev (Artus Films) ;
-The Saviour & The Bride with White Hair, deux films de Ronny Yu sortis chez Spectrum Films ;
-Police Frontière de Tony Richardson, Point Limite de Sidney Lumet et Incubus de John Hough (Rimini Editions) ;
-Queen & Slim de Melina Matsoukas (Universal) ;
-Mo' Better Blues & Jungle Fever deux longs-métrages de Spike Lee ainsi que Blue Collar de Paul Schrader (Elephant Films).
Merci à Mathilde Gibaut, Kevin Boissezon, Antoine Guérin, Thierry Lopez, Victor Lopez et Jean-Pierre Vasseur pour leur aide sur cette émission.
Playlist de l'émission :
-Générique d'après DJ No Breakfast remixé par Léo Magnien (notre flamboyant ingénieur du son);
-Un extrait de la BO d'Incubus (Stanley Myers) ;
-We're Back (Eminem) ;
-Meat Is Murder (The Smiths) ;
-On n'est pas là pour se faire engueuler (Boris Vian) ;
-Soviet Suprem Héros (Soviet Suprem) ;
-I'm On Fire (Bruce Springsteen).
mercredi 24 juin 2020
Téléchargez l'émission de la semaine dernière
Téléchargez l'émission de la semaine dernière, une spéciale place des noirs dans la société US à travers une étude comparative de quatre films, le sommaire :
-Débat axé autour de The intruder de Roger Corman (1961-Carlotta), Ragtime (1981) de Milos Forman (Arte Editions), Get Out (2017-Universal) et Us (2019) de Jordan Peele.
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Bonne écoute !!!
mardi 23 juin 2020
Burt Lancaster à l’honneur chez Rimini Editions : Interview de Christophe Chavdia
Récemment, deux films avec l’immense Burt Lancaster, Le Temps du châtiment (The Young Savages, John Frankenheimer – 1961) et Un Château en enfer (Castle Keep, Sydney Pollack – 1969), sont parus chez Rimini Editions. Ce dernier, à la limite du fantastique, conte le tragique destin, durant la bataille des Ardennes, d’une troupe de GI’s ayant élu domicile dans un château appartenant à un comte féru d’art. Film de guerre pacifiste, Un Château en enfer est un long-métrage audacieux tout à fait représentatif des choix de carrière singuliers opérés par Burt Lancaster. Pour évoquer cet acteur, nous sommes allés à la rencontre de Christophe Chavdia, auteur pour La Plume (http://la-plume.video/) et Rimini Editions de nombreux travaux sur le cinéma dont L'Énigme Richard Fleischer, ouvrage présent dans le collector de Les Vikings (The Vikings, Richard Fleischer - 1958). Passionné par Burt Lancaster, il a récemment signé Graine(s) de violence, le livret qui accompagne Le Temps du châtiment…
En quoi se singularise Burt Lancaster, acteur vedette de Le Temps du châtiment ?
Si la question porte sur la singularité de Lancaster en général, il est difficilement définissable, c’est sa singularité. Gamin, je le voyais comme un personnage d’aventurier, de pirate au torse bombé et de bagarreur. J’étais loin du compte, car même à cette époque, je me doutais qu’il avait quelque chose que d’autres n’avaient pas - comme Kirk Douglas d’ailleurs ou l’immense Mitchum. Burt n’hésitait pas à jouer les salopards qui ne se réduisaient pas à ça, comme dans le génial Vera Cruz (Robert Aldrich - 1954). Mais il y a bien plus que cela derrière le sourire carnassier et le torse de Lancaster, il y a son regard. Finalement, il nous aura bien roulés, gamins, ou préparés à la suite. Dans l’album de BD Pour en finir avec le cinéma (Dargaud), Blutch a parfaitement résumé ce sentiment en une page – « En un coup d’œil, le tableau de chasse (incomplet) du mystérieux Burt Lancaster » – où il passe en revue vingt visages de Lancaster au fil de ses films, de ses débuts à la fin de carrière : son visage s’alourdit au fil du temps, mais à part dans la première case pour Les Tueurs (The Killers, Robert Siodmak - 1946) le regard reste toujours sombre et habité, malgré quelques sourires grinçants. C’est Luchino Visconti qui aurait dit : « Il m’arrive de penser que Burt est l’homme le plus parfaitement mystérieux que j’aie jamais rencontré. » Il a fait Le Temps du châtiment, sorti en 1961, entre Elmer Gantry le charlatan (Elmer Gantry, Richard Brooks - 1960) et Le Prisonnier d’Alcatraz (Birdman of Alcatraz, John Frankenheimer - 1962), et pendant le tournage de ce dernier il a dû s’absenter pour tourner Jugement à Nuremberg (Judgment at Nuremberg, Stanley Kramer - 1961) ! Bref, il a une palette de jeu invraisemblable, allant en deux ans d’un évangéliste roublard à l’exubérance folle à un meurtrier prisonnier à vie tout en intériorité blessée, en passant par un collaborateur nazi glacial mais sincèrement repentant, ou un procureur adjoint empreint de dignité et de culpabilité, capable de noyer sa prometteuse carrière par intégrité. Que des personnages qui compensent leurs fêlures.
Visconti évoquait ce mystère Lancaster en le comparant à son rôle si complexe du prince Salina dans Le Guépard (Il Gattopardo – 1963) : capable d’être brutal, fort et autocratique, ou romantique, bon et chaleureux, ou quelquefois stupide, et par-dessus tout mystérieux. J’ai vu quelques articles dans lesquels dès les années 60, on se demandait quel était le vrai Lancaster, car on ne pouvait catégoriser cet ogre, qui n’était pas du tout un adepte de la Méthode de l’Actors Studio. La réponse est peut-être simple : c’était un comédien qui voulait saisir tout le spectre humain, il ne voulait pas créer des modèles héroïques classiques ou du moins les complexifier. Dès ses débuts, il s’est posé des questions sur sa longévité de comédien, se sachant déjà coincé dans le film noir. Il pensait devenir producteur, ce qu’il a accompli, et réalisateur (il ne l’a fait que deux fois, sans succès). Il a donc varié ses rôles et a dû faire le forcing à chaque fois : une règle d’airain d’Hollywood est de continuer à faire ce qui fonctionne et de se plaindre de ne pouvoir faire autre chose, ce qu’il a déjoué. Pour Hollywood, il était un phénomène. Il est devenu une star dès sa première apparition au cinéma en 1946, dans Les Tueurs. Je n’ai pas de souvenir d’une telle réussite, alors qu’il s’était fait remarquer par des agents dans un bide de Broadway, pièce pour laquelle il avait été pris après avoir été remarqué par un agent dans un ascenseur. Même le premier film de Brando, C’étaient des hommes (The Men, Fred Zinnemann – 1950), n’avait pas marché à ce point. Et un an plus tard, Lancaster annonce qu’il va produire un film, Les Amants traqués (Kiss the Blood Off My Hands, Norman Foster – 1948), sous les rires pincés d’Hollywood et de ses chroniqueurs qui n’attendaient que la chute de ce parvenu, libéral affirmé de surcroît, qui ne suivait pas les règles de la préséance, là où tous les acteurs avaient échoué depuis la fin de la Seconde Guerre. Ça a atteint un niveau dantesque. En définitive, Lancaster, avec son agent, Harold Hecht, a fait prospérer une véritable compagnie de production, qui est devenue un ambitieux petit empire. Même après la chute de cette maison de production, il aura toujours alterné films commerciaux et films plus « artistiques » ou engagés.
Dans Le Temps du châtiment, Lancaster est un procureur confronté à la violence des rues. Il travaille sur une affaire de meurtre qui va le replonger dans son passé. Dans votre livret, vous expliquez que ce tournage ramène Lancaster sur les lieux de sa propre enfance, Harlem ; est-ce que c’est ce qu’il l’a poussé à travailler sur ce film ?
Ça l’a certainement poussé à accepter de faire ce projet, considéré comme un film « social », parmi d’autres productions. Il devait se plier à choisir un film, car il était contractuellement contraint d’en faire quelques-uns avec un cachet très réduit pour rembourser les dettes de sa maison de production à United Artists. De la même manière, il devra faire trois autres films : Le Prisonnier d’Alcatraz, Le Train (John Frankenheimer – 1964) et Sur la piste de la grande caravane (The Hallelujah Trail, John Sturges – 1965). Il sortait du tournage et de la promotion d’Elmer Gantry le charlatan, qui devait sortir après le tournage du Temps du châtiment, et devait juste après ce tournage se précipiter dans Le Prisonnier d’Alcatraz, projet qui lui tenait particulièrement à cœur, voire l’obsédait. Lancaster était quelqu’un d’inquiet et perfectionniste qui était complètement investi dans l’interprétation de ses personnages, comme s’il était à chaque fois né pour jouer et dominer ce rôle, et qui faisait des recherches pour ses interprétations. Pour Le Temps du châtiment, il est apparemment venu plus à la fraîche que dans ses habitudes. Il avait tout délégué à Harold Hecht et n’avait pas parlé auparavant avec le metteur en scène, qui avait fait réécrire le scénario selon ses vues. Frankenheimer exagère lorsqu’il dit que Lancaster n’avait rien à cirer de ce film, c’est une manière de charger Lancaster, même si l’acteur est apparemment venu « réticent » sur le plateau, probablement déjà préoccupé par son prochain film, mais Lancaster était très impatient de travailler avec ce metteur en scène qui avait dix-sept ans de moins que lui et qui était novateur. En tout cas, il est évidemment arrivé totalement préparé, comme le pro qu’il était. Mais avait-il besoin de se préparer et de faire des recherches sur un tel endroit, pour un tel rôle pour lequel il semblait déjà « fait » et « né » ? Peut-être trop ? Ou voulait-il aller plus loin avec un tel film, qui lui semblait trop timoré ?
Des articles d’époque présentent un Lancaster sur le tournage, reconnu par ses anciens voisins et connaissances, revoyant le gamin turbulent devenu une star de cinéma qui parlait à mi-mots de son enfance et de sa mère, morte alors qu’il était adolescent et qui était une incarnation imposante de l’honnêteté et de l’entraide. Lui qui avait tout fait pour se barrer de ce quartier, pour avoir une vie différente de celle qui était tracée pour lui. Ce sont les institutions sociales et religieuses de ce quartier bigarré et pauvre qui lui avaient montré qu’un autre destin était possible. Le petit bagarreur y était aussi devenu idéaliste. Il y a connu ses premières expériences théâtrales, la lecture, le sport et découvert Douglas Fairbanks au cinéma. À 13 ans, il sort de ce quartier pour l’école secondaire, toujours à New York, et s’en éloigne après la mort de sa mère. Trente ans plus tard, il y a le choc de voir son quartier changé en ghetto : de mouvementé, il est devenu infernal ; de pauvre, il est devenu miséreux ; East Harlem est en pleine tentative de rénovation pour tenter d’en casser le côté populaire, mettant ses problèmes comme de la poussière sous un tapis, même l’immeuble de son enfance est détruit l’année du tournage. Sans compter que ce comédien engagé socialement va tourner Le Temps du châtiment sur place, avec les nouveaux jeunes turbulents du coin, autrement plus virulents, et les institutions du quartier. Sans vouloir faire de la psychologie comportementale digne d’un spécialiste de plateau télé, le fait qu’il ait explosé lors du tournage de la scène où il rencontre son amour d’antan, qui lui reproche d’avoir quitté son quartier, est peut-être significatif : l’actrice prévue en a quitté le tournage et a été remplacée par Shelley Winters, puis Lancaster et elle s’engueulèrent copieusement lors du tournage de cette même scène.
Vous écrivez également que les relations entre le réalisateur et son acteur vedette étaient, par instant, très tendues. Pourtant, les deux hommes vont retravailler ensemble à de multiples reprises, comment l’expliquez-vous ?
On peut parler d’un mariage de raison, devenu passionnel, entre deux artistes à très forte personnalité, voire mégalomanes selon certains : l’un disait ça de l’autre et vice versa, et les critiques le disaient pour les deux, mais pour ces artistes, rien ne comptait plus que le travail qu’ils faisaient et leur vision artistique. Entre parenthèses, Hollywood est peuplée de cannibales toujours prêts à dévorer des proies et à voir chuter les siens. Être indépendant était être mégalo, il fallait être fort pour tenir les studios à bonne distance, car il fallait évidemment composer avec, les seuls totems protecteurs étaient l’argent et la témérité, sans compter le talent. Mais désormais, Lancaster et Frankenheimer sont morts, et il ne reste d’eux que leurs films. Tout le reste n’est que bavardage, ou contexte. L’ambiance était tendue sur le plateau, le tournage dans les « quartiers difficiles » de l’action était déjà bouillant. Ce n’était que le deuxième film de cinéma de Frankenheimer, mais il avait déjà des dizaines de dramatiques télé à succès derrière lui, était un professionnel accompli, très précis avec sa caméra, rompu au direct, autoritaire, et il devait se douter qu’il allait se faire dévorer par le fauve et interventionniste Lancaster. Ce dernier fut décontenancé par les placements de caméra du réalisateur. La légende veut qu’à un moment Burt ait soulevé Frankenheimer pour le mettre à la place où lui voulait la caméra. De plus, et peut-être surtout, le metteur en scène était assez rude sur le plateau.
Il avait en particulier pris en grippe l’actrice Dina Merrill, qui jouait la femme de Lancaster, ce qu’il faisait savoir de manière très virulente, d’où des tensions avec Lancaster, qui avait lui-même ses humeurs. En fait, les deux sont très semblables. Sitôt son dernier plan du film dans la boîte, Lancaster est parti sans piper mot à Frankenheimer et jura qu’on ne l’y reprendrait plus. C’est cette ambiance qui fera dire à Lancaster qu’il avait peu apprécié de bosser sur ce film. Il est clair que le metteur en scène n’avait pas la main sur les scènes avec Lancaster, mais plus de marge avec le reste, ce qu’il ne se gêna pas de dire par la suite. Ensuite, Lancaster est parti bosser sur Le Prisonnier d’Alcatraz, en a débuté le tournage avec Charles Crichton, vite débarqué. Il semble que Lancaster ait tout simplement vu Le Temps du châtiment et l’ait trouvé suffisamment impressionnant pour appeler Frankenheimer de toute urgence, surtout que celui-ci connaissait l’histoire du prisonnier Robert Stroud, au point qu’il avait voulu en faire une dramatique télé (ce qu’il ne put pas faire, car l’administration pénitentiaire ne voulait pas y participer) et avait proposé ses services à Harold Hecht. Il faut croire que la collaboration fonctionna – les deux sont des écorchés vifs, et ont un socle politique et une opiniâtreté artistique semblables –, car Frankenheimer a fait trois autres films passionnants avec Lancaster : Sept Jours en mai (Seven Days in May – 1964), Le Train (où il remplaça Arthur Penn au pied levé) et l’inconnu Les parachutistes arrivent (The Gypsy Moths - 1969).
Concernant Frankenheimer, ne pensez-vous pas qu’il est temps de réévaluer la passionnante filmographie de ce réalisateur quelque peu tombé dans l’oubli ?
Tout réalisateur novateur et subversif comme lui est à réévaluer, surtout avec un style visuel aussi reconnaissable. Réévaluer Frankenheimer, certainement, ou du moins regarder et diffuser ses films, et ne pas s’arrêter à ses « films d’action » (très bons, ce n’est pas la question). Certains thèmes de sa filmographie tournant autour des empêchés sociaux résonnent d’autant selon l’époque. Notre époque paranoïaque, et son besoin de trouver des complots, ne peut qu’être sensible au terrifiant (et critiqué comme antiaméricain) Un crime dans la tête * (The Manchurian Candidate – 1962), au peu connu et très faustien L’Opération diabolique (Seconds – 1966) ou à l’angoissant Sept Jours en mai. Le goût du sang des commentateurs de réseaux sociaux pourrait aussi trouver un peu de baume humaniste dans mon film préféré de Frankenheimer/Lancaster : Le Prisonnier d’Alcatraz, sur la possibilité de réformation d’un meurtrier (mais c’est en noir et blanc et ça fait deux heures et demie), ou aux impossibilités sociales des jeunes blousons noirs du Temps du châtiment. Et pour rajouter à la nervosité, on peut aussi liker le génial film d’action pré-Rambo qu’est Le Train, film qui sera très imité avec un Lancaster en surchauffe dans la France de la Seconde Guerre mondiale. Après, la majeure partie de la filmographie de Frankenheimer n’est pas sortie en vidéo – je ne parle même pas de son immense corpus télévisuel –, d’où ma méconnaissance de ses années 70, dont je recommande tout de même l’extraordinaire The Iceman Cometh (1973), qu’il considérait comme étant son meilleur film : je n’encouragerai jamais assez un téméraire éditeur vidéo français de le sortir. Je me permets d’ailleurs de recommander fortement l’édition Wild Side du Prisonnier d’Alcatraz, avec un livre imparable de Doug Headline sur la collaboration entre ces deux hommes. Si l’on appelle réévaluation le fait d’écrire sur une telle œuvre, c’est bien parti, mais aux États-Unis, Frankenheimer a fait l’objet de nombreux livres.
Le Temps du châtiment est un film assez social et politique. Comment expliquer l’appétence de Lancaster pour ce type de sujet, et ce tout au long de sa carrière ? Je pense à un long-métrage comme Le Merdier * (Go Tell the Spartans, Ted Post – 1978), par exemple…
Il voulait faire entendre sa voix et intervenir dans le cours du monde. Par essence, les États-Unis sont attachés plus sauvagement que nous à la liberté d’expression (mais entamée lorsqu’il s’agit de morale ou de commerce) et à la virulence des confrontations. On peut le présenter comme un exemple parfait du rêve américain, mais je ne pense pas qu’il y croyait beaucoup. Il n’y a pas que l’individu – la valeur américaine suprême – qui compte, mais aussi son environnement social. Par exemple, les critiques politisées du Temps du châtiment se sont divisées en deux clans, entre « Le jeune est entièrement responsable de ses actes » et « La société est aussi responsable de ce que ces jeunes sont devenus ». Comme je l’écris dans le livret, trois jeunes du quartier du tournage, anciens membres de gangs et engagés parmi les rôles principaux du film, en sont venus, suite au film, à ce que soit publié dans le Journal officiel du Sénat américain un texte sur les raisons de la délinquance juvénile. Pour en revenir à Lancaster, son passé et ses expériences dans son quartier multi-ethnique l’ont modelé. Il a débuté à Hollywood dans la trentaine bien tassée, après des expériences professionnelles de bohème comme acrobate, ce n’était pas un jeune homme naïf. Faire des films « autres » a de suite été une priorité, par conviction et par envie de montrer qu’il pouvait varier son jeu. Il a tout fait pour jouer dans Ils étaient tous mes fils (All My Sons, Irving Reis - 1948), tiré d’une pièce d’Arthur Miller. Son envie de produire allait aussi en ce sens. Après ses films noirs comme « homme fatal », il s’est construit comme une exubérante star de cape et d’épée pour avoir de la marge : un film pour ce que veut voir le grand public et un film pour ce que le public devrait voir. Et à peine arrivé à Hollywood, même s’il n’était pas encore politisé, il s’est engagé pour la liberté d’expression dans une industrie qui chassait le communiste et a été très marqué par la « liste noire » : le Hollywood libéral a dû composer avec ça et, évidemment, la censure du code Hays. Lorsqu’il a fait, en 1962, Le Prisonnier d’Alcatraz sur la vie de Robert Stroud, il a tout fait pour que ce meurtrier, prisonnier isolé depuis plus de 50 ans, soit relâché (en vain), comme si son film pouvait changer la société. Ses convictions étaient si fortes qu’il a, par exemple, refusé de tourner Ben-Hur (ce qui aurait sauvé sa société de production, mais il était athée) ou Patton, et de jouer avec John Wayne. Il s’est évidemment engagé pour le mouvement des droits civiques et contre le Vietnam, et de manière intense, pas en dilettante, et en général pour les causes progressistes. Vous évoquez Le Merdier, beau film qui a été le premier à montrer « sur place » cette guerre de manière très critique, et pour lequel Lancaster a non seulement accepté de bosser pour un cachet moindre (comme il l’a toujours fait pour ces films engagés, moins susceptibles de succès), mais versé de quoi terminer le film quand le budget est venu à manquer.
Hanzo
* Films disponible chez Rimini Editions
Pour en savoir plus sur Rimini Editions, rendez-vous sur leur page Facebook en cliquant sur ce lien : https://www.facebook.com/rimini.editions
lundi 22 juin 2020
On the air : Retour en studio
Nous sommes ravis de vous annoncer la réouverture des locaux de Graf'Hit, la radio compiégnoise qui coproduit notre émission. Aussi, le 26 juin, toute l'équipe de Culture Prohibée sera en studio pour enregistrer, dans des conditions particulières (coronavirus oblige), l'épisode final de cette saison 11. Fini les rediffusions, voici enfin de l'inédit pour vos impatientes esgourdes !!!
mardi 16 juin 2020
Dans Culture Prohibée cette semaine : Emission spéciale place des noirs dans la société US à travers une étude comparative de quatre films
Retrouvez cette semaine Culture Prohibée sur les antennes de nos radios partenaires (cf. liens ci-contre dans la rubrique "Nous écouter sur votre poste de radio").
Au programme de votre émission préférée consacrée à l'actualité de la culture pas nette du ciboulot, une spéciale place des noirs dans la société US à travers une étude comparative de quatre films, le sommaire :
-Débat axé autour de The intruder de Roger Corman (1961-Carlotta), Ragtime (1981) de Milos Forman (Arte Editions), Get Out (2017-Universal) et Us (2019) de Jordan Peele.
Merci à Mathilde Gibaut pour son aide sur cette émission.
Playlist de l'émission :
-Générique d'après DJ No Breakfast remixé par Léo Magnien (notre flamboyant ingénieur du son);
-Divers extraits des B.O. de Get Out (Michael Abels), Us (Michael Abels) & Ragtime (Brian Stokes) ;
-Strange Fruit (Billie Holiday) ;
-I Got 5 On It (Luniz).
Téléchargez l'émission de la semaine dernière
Téléchargez l'émission de la semaine dernière, une spéciale Gérard Kikoïne, le sommaire :
-Interview de Gérard Kikoïne auteur du KikoBook (Editions de l’œil) et réalisateur de quelques perles du cinéma d'amour explicite telles Parties fines & Adorable Lola.
Téléchargez l’émission en suivant ce lien : https://podcast.grafhit.net/cultureProhibee/CP_S11E42.mp3
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Bonne écoute !!!
lundi 15 juin 2020
Voyage en Italie consacré aux dernières sorties Artus Films en compagnie de David Didelot
Artus Films honore régulièrement le cinéma populaire italien de superbes éditions. Récemment, trois grandes figures du Bis transalpin, Mario Bava, Lucio Fulci et Joe D’Amato, ont eu droit à des mediabooks mémorables.
Hercule contre les vampires
Lorsqu’il tourne Hercule contre les vampires (1961), Mario Bava vient de connaître un grand succès public et critique avec Le Masque du démon sorti l’année précédente. L’intrigue est simple, Hercule (Reg Park) revient après une longue absence et retrouve sa dulcinée dans un état second. Pour la guérir, il doit trouver une pierre sacrée enfoui au plus profond de la Terre, dans le royaume d'Hadès. Hercule ignore que celui qu’il croit être son ami, le roi Lico (Christopher Lee), est à l’origine de l’envoûtement qui frappe son amoureuse. Ce scénario minimaliste est l’occasion pour Bava de signer un film enchanteur, véritable sarabande de couleurs. Le metteur en scène déploie des trésors d’ingéniosité, en particulier lorsqu’il s’agit de magnifier ses décors. D’une beauté plastique sidérante, Hercule contre les vampires, incompris par la critique lors de sa sortie, est l’un des tous meilleurs péplums italiens. Le film est accompagné, entre autres, d’un fort bel ouvrage de Michel Eloy : Sur les berges du Styx. A signaler également, la sortie, en digipacks, de deux péplums de 1964 beaucoup moins ambitieux mais néanmoins sympathiques : Le Gladiateur magnifique d’Alfonso Brescia et Hercule contre Rome de Piero Pierotti.
Béatrice Cenci, Liens d’amour et de sang
A la fin des années 60, Lucio Fulci est surtout réputé pour être un bon faiseur de comédies, même si certains cinéphiles à l’œil aiguisé ont pu repérer son très bon western Le Temps du massacre (1966). 1969 Est un grand cru pour Fulci puisque c’est l’année de la sortie de Perversion Story et Béatrice Cenci, Liens d’amour et de sang. Ce dernier, long-métrage historique, bien que boudé par le public, est l’œuvre préférée du cinéaste. Les amateurs du poète du macabre considèrent, pour la plupart, que Béatrice Cenci est son meilleur film. Chef-d’œuvre nihiliste, le film est porté par un Georges Wilson prodigieusement cruel en Francesco Cenci, tyran incestueux, et une Adrienne La Russa sidérante de beauté qui campe Béatrice Cenci. Celle-ci, étonnamment ne connut pas une grande carrière, préférant devenir agent immobilier, tel que nous l’apprend l’excellent ouvrage dirigé par Lionel Grenier présent dans ce mediabook : Béatrice Cenci, sainte ou succube ?. Le film de Fulci, qui voit Béatrice, en 1599, attendre dans une cellule romaine son exécution, pose clairement la question ; l’attitude calculatrice qu’elle a avec son amant Olimpo (Tomas Milian, impeccable) ne plaide pas en sa faveur. A ne pas mettre devant tous les yeux, Béatrice Cenci, Liens d’amour et de sang est un sommet de noirceur, une des représentations les plus cruelles du moyen-âge, avec La Chair et le sang de Paul Verhoeven.
Rencontre avec David Didelot au sujet d’Emanuelle et les derniers cannibales
Si Joe D’Amato n’a pas la filmographie de Mario Bava et Lucio Fulci, il reste, dans le cœur des cinéphiles déviants, un metteur en scène à part, capable du pire mais aussi du meilleur, à l’image de son "glauquissime" Blue Holocaust. En 1977, D’Amato signe un monument du Bis avec Emanuelle et les derniers cannibales. David Didelot, que l’on ne présente plus, a signé Emanuelle au pays du sexe… et du sang, livre qui accompagne le collector édité par Artus Films ; nous sommes allés à sa rencontre.
Peux-tu, pour nos lecteurs, expliquer quelle est l'importance de Joe D'Amato dans l'histoire du bis Italien ?
A mes yeux, Joe D'Amato représente un peu ce foisonnement du cinéma bis italien dans les années 70, cette liberté de ton qu'on a un peu perdue aujourd'hui, et cette polyvalence incroyable de l'artiste - ou de l'artisan : le bonhomme aura touché à tous les genres, littéralement ! Bien sûr, sa carrière dépasse largement cette décennie, mais je crois que les traits saillants de son cinéma sont à aller chercher dans les seventies : notamment ce goût de la provocation, cette fascination pour "l'image-limite" et cette capacité à mélanger les fluides - au sens propre !… Et puis quantitativement parlant, c'est assez impressionnant ! Il est pour moi le chantre du cinéma d'exploitation, il sent les attentes du spectateur mais tente tout de même des choses, expérimente presque. C'est un businessman qui a su "exploiter" au bon moment les grands succès anglo-saxons et a fait bosser des réalisateurs inconnus ou oubliés, tout en donnant sa chance au meilleur d'entre eux, Michele Soavi (avec Bloody Bird)… Je salue aussi le Joe D'Amato producteur donc, et l'aventure Filmirage dans les années 80. En un mot, Joe D’Amato était peut-être bien le Roger Corman italien (l'un de ses réalisateurs préférés d’ailleurs), l'un de ces noms qui évoque le mieux ce que j’entends par cinéma bis : le savoir-faire, le système D et l’ingéniosité malgré des budgets peau-de-chagrin.
Comment expliquer l'aura dont Laura Gemser, interprète du rôle-titre, jouit auprès de la communauté bissophile ?
D'abord, elle était extrêmement belle, ce qui ne gâche rien ! Et puis le fait qu'elle ait totalement disparu des écrans radar augmente encore le mythe je pense, lui confère une espèce de mystère qui plaît aux amateurs. Laura Gemser, c'est un peu une étoile filante, aussi brillante qu'éphémère. Je crois aussi que son nom est définitivement associé à la carrière de Joe D'Amato justement, même si elle a travaillé pour d'autres réalisateurs évidemment : une actrice fidèle en quelque sorte, qui appartenait à une "équipe" totalement dévolue à Joe D'Amato : Gabriele Tinti, George Eastman, Venantino Venantini et j'en passe. Et puis sa carrière recouvre les années bénies du cinéma bis italien, au point qu'elle est devenue un symbole : celui d'un cinéma érotique disparu. Et comme la nostalgie est à la mode…
C’est quoi le phénomène Black Emanuelle ?
Alors le phénomène Black Emanuelle est évidemment né suite au succès de l'Emmanuelle de Just Jaeckin en 1974, même si les fonds baptismaux de la série sont aussi à chercher ailleurs : dans le tout premier rôle de Laura Gemser notamment. Evidemment, les Italiens sentent le bon coup et embrayeront sur leur propre version du personnage : Bitto Albertini d'abord (le tout premier Emanuelle nera en 1975), puis Joe D'Amato pour les épisodes suivants. Celui-ci donnera d'ailleurs à la série une coloration plus glauque et plus violente, obéissant en cela à son inclination propre pour l'image déviante et choquante. Et je ne parle même pas des épisodes mis en boîte par Bruno Mattei, lequel plonge notre héroïne dans l'univers dégueulasse du film de prison pour femmes (le WIP) ! Mais globalement, il sourd de cette série une ambiance insouciante et libertaire qui seyait assez bien à l'époque. A chaque fois, notre journaliste parcourt le monde à la recherche des scoops les plus improbables, dans les milieux les plus interlopes : une déclinaison pour adultes de Tintin en quelque sorte ! Et une héroïne bien plus amusante (et affolante !) que notre Emmanuelle nationale, peut-être trop guindée et trop cérébrale de son côté… Dans la série, Emanuelle est une femme indépendante et émancipée, radieuse et épanouie dans sa sexualité, hédoniste en amour (avec les hommes comme avec les femmes), presque antique dans sa conception du plaisir et dont l'existence serait une bacchanale toujours recommencée. Je crois que le personnage a fasciné pour tout cela. Il entrait en résonnance avec les aspirations libertaires et libertines de la période. Aujourd'hui, je me demande d'ailleurs si certains films de la série passeraient l'épreuve du politiquement correct… Quelle régression… Mais c'est un autre sujet !
Les remerciements adressés par la production, lors du générique final, aux autorités brésiliennes de Tapurucuana, constituent un gros mensonge. En fait, le film a été tourné à New-York et en Italie. Tout cela est très révélateur de ce qu'était le Bis Italien ?
Oh oui ! On n'en était pas à ça près dans ce petit univers… Comme de faire croire qu'on s'appuie sur tel ou tel écrivain pour son film (ça fait toujours bien un petit cachet littéraire) ou de dire qu'on s'inspire d'une histoire vraie… C'est l'obsession vériste qui transpire, au point de s'arranger avec la réalité, de brouiller les frontières entre illusion et vérité : le procédé rappelle d'ailleurs celui des mondo films, dont les codes sont largement utilisés dans le cinéma de Joe D'Amato. Le spectateur n'est pas dupe je pense, et on retrouve là cette dimension ludique du cinéma bis, ce côté "fête foraine" du cinéma de l'époque : la vitrine brille de mille feux, l'enseigne promet beaucoup, et l'on est complice de l'entourloupe.
Que dire à nos lecteurs pour les inciter à voir Emanuelle et les derniers cannibales ?
Alors écoute, je dirai qu'Emanuelle et les derniers cannibales est l'un des films les plus emblématiques de l'œuvre de Joe D'Amato, une espèce d'essence de ce qu'est le bis italien de l'époque : érotisme, exactions gore, exotisme, belle musique de Nico Fidenco, superbes filles aux prises avec d'affreux sauvages (dont la splendide Susan Scott, et rien que pour ça !)... C'est peut-être même l'épisode le plus attachant de la série, dans sa folle naïveté et son esprit ultra racoleur. L'un de mes films préférés toujours est-il !
Hanzo
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http://lesfilmsdelagorgone.fr/topic2/index.html
mercredi 10 juin 2020
Dans Culture Prohibée cette semaine : Rencontre avec le réalisateur Gérard Kikoïne
Retrouvez cette semaine Culture Prohibée sur les antennes de nos radios partenaires (cf. liens ci-contre dans la rubrique "Nous écouter sur votre poste de radio").
Au programme de votre émission préférée consacrée à l'actualité de la culture pas nette du ciboulot, une spéciale Gérard Kikoïne, le sommaire :
-Interview de Gérard Kikoïne auteur du KikoBook (Editions de l’œil) et réalisateur de quelques perles du cinéma d'amour explicite telles Parties fines & Adorable Lola.
Playlist de l'émission :
-Générique d'après DJ No Breakfast remixé par Léo Magnien (notre flamboyant ingénieur du son) ;
-Divers extraits des B.O. de La vitrine du plaisir (Ted Scotto), Le sexe qui parle (Mike Steïthenson), Parties fines (Ted Scotto), Le feu sous la peau (Vincent Malone) & L’amour à la bouche (Yan Tregger).
mardi 9 juin 2020
Téléchargez l'émission de la semaine dernière
Téléchargez l'émission de la semaine dernière, une spéciale Sylvester Stallone Héros de la classe ouvrière (David Da Silva-Editions LettMotif), le sommaire :
-Une interview de David Da Silva auteur de Sylvester Stallone Héros de la classe ouvrière (à paraître en édition améliorée chez LettMotif - cf. https://fr.ulule.com/sylvester-stallone/).
Téléchargez l’émission en suivant ce lien : https://podcast.grafhit.net/cultureProhibee/CP_S11E41.mp3
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Bonne écoute !!!
vendredi 5 juin 2020
Entretien avec Frank Lafond au sujet de Phase IV (sortie le 17 juin chez Carlotta Films)
C’est le 17 juin que sort le nouvel ultra collector édité par Carlotta Films. C’est un véritable événement puisqu’il est consacré, à la fois, à un classique méconnu de la science-fiction, Phase IV (1974), et à un immense artiste, son réalisateur, Saul Bass. L’homme derrière les génériques les plus marquants des films, entre autres, de Preminger et Hitchcock, signe avec cette incroyable histoire d’anticipation, son seul long-métrage. Le coffret regorge de bonus puisqu’il regroupe la quasi-totalité des courts mis en scène par Saul Bass ainsi que la fin originale de Phase IV. Pour accompagner le tout, l’éditeur a joint un ouvrage passionnant signé Frank Lafond : Phase IV, éclipse de l’humanité ; notre rédaction est allée à sa rencontre.
Votre ouvrage débute par l’évocation d’un paquet de Kleenex, marque dont le logo fut conçu par Saul Bass. En quoi Saul Bass est, à l’image, par exemple, d’un Warhol ou d’un Dylan, un personnage central de la culture américaine ?
Je commence par le logo de Kleenex, parce que, pendant l’écriture de mon livre, chaque fois que l’on me demandait qui était Saul Bass, je trouvais très pratique, et même plutôt amusant, d’avoir toujours sur moi quelque chose de concret pour soutenir mes propos. Même mon médecin généraliste y a eu droit… On connaît d’ordinaire Bass comme concepteur d’affiches et de génériques de films. En cette qualité, il a travaillé avec Preminger, Hitchcock, Scorsese, Aldrich, Frankenheimer – bref, avec de grands noms, sur de grands films. Pour Psychose, il a même établi le découpage de l’une des plus célèbres scènes de l’histoire du cinéma – est-il encore utile de la citer ? Mais, en tant que designer à la tête de sa propre société, Bass a aussi façonné en profondeur la réalité quotidienne des Américains. Au fil des ans, il a redessiné les contours de l’Amérique, inventant ou réinventant les logos d’un nombre considérable de marques et d’entreprises célèbres, concevant des stations-services, parfois des bâtiments, etc. Son style imprégnait donc une grande partie du paysage urbain.
Vous évoquez également le mélange entre « technique et poésie » concernant ce créateur. Pourtant, dans nombre de ses fameux génériques, en particulier pour Otto Preminger, qui multiplie les formes géométriques, on pourrait penser, à tort, qu’il est un grand technicien assez froid. Comment expliques-tu la poésie qui émane de son œuvre ?
La curiosité de Bass pour la technique était insatiable. Dans les années 1960, il suivait par exemple de très près les tout derniers développements en matière d’images de synthèse, qui étaient alors cantonnés à la recherche universitaire et au cinéma expérimental. On le voit constamment à la recherche de nouveaux moyens de produire des images, de générer des rythmes visuels, des effets sensoriels. Tout ça, c’est une question de regard. Pour Bass, il s’agit de se soustraire à l’évidence, d’appréhender le monde autrement, d’en dévoiler des facettes inconnues, de s’interroger sur lui et de réfléchir à la place de l’homme en son sein. Dans un court-métrage comme The Searching Eye*, Bass parvient ainsi à nous entraîner au-delà des apparences. Sans parler explicitement de regard poétique, c’est une idée sur laquelle s’attarde Mayo Simon, le scénariste de Phase IV, dans le texte inédit consacré à la conception du court-métrage Why Man Creates* qu’il m’a permis de traduire dans mon livre.
Une grande partie du livre est, bien évidemment, consacrée au film Phase IV. Pouvez-vous présenter cette œuvre singulière à nos lecteurs ?
Phase IV est un film singulier, mais son histoire reste assez simple. À la suite d’un mystérieux phénomène céleste, les fourmis commencent à adopter un comportement inhabituel. Deux savants se rendent dans le désert pour observer le déséquilibre écologique ainsi produit et s’ensuit un affrontement aux conséquences pour le moins inattendues. Cette histoire permet une remise en question de l’anthropocentrisme, de notre place, de notre importance sur Terre en tant qu’espèce par rapport aux autres formes de vie. De ce point de vue, c’est un film très contemporain.
Phase IV se présente comme un double, et même un triple film. D’un côté, nous suivons bien entendu les recherches menées par les savants et, assez vite, on se retrouve dans un huis clos. De l’autre, Bass nous ouvre les portes du monde des fourmis, sans aucune volonté de les traiter comme de simples monstres. Le troisième film, c’est la dernière séquence, que l’on peut considérer comme un véritable court-métrage expérimental – du moins, dans sa version « initiale ».
Nous sommes nombreux à avoir fantasmé sur le final voulu par Bass, d’autant plus que quelques bribes alléchantes apparaissaient dans la bande-annonce. Il est présent dans cet ultra-collector. Pourquoi un homme aussi respecté que Bass n’a pas réussi à imposer cette fin ?
La bande annonce a été écrite et montée plus de six mois avant que Bass ne parvienne à la version définitive de son film, au mois d’avril 1974. Il est donc normal que l’on soit allé puiser aussi dans ce qui constituait alors son climax. Début 1974, Paramount a organisé deux séries de projections test pour Phase IV et les dernières minutes du film ont laissé perplexes un grand nombre de spectateurs. Entre les premières séances et les secondes, Bass a pris soin d’ajouter une voix off censée rendre son propos plus explicite, mais cela n’a pas suffi à régler le problème.
En réalité, la question dépasse la réaction des premiers spectateurs. Déjà, il ne faut pas oublier que Phase IV était non seulement le premier long-métrage de Bass, mais aussi son premier film produit de manière traditionnelle, car ses courts-métrages avaient été financés par des entreprises et en conséquence seulement diffusés à la Foire internationale de New York, à la télévision sous forme de fragments… Aux yeux de l’industrie hollywoodienne incarnée par la Paramount, il faisait donc figure de débutant. Cela dit, contrairement à une légende qui perdure, l’histoire de Phase IV n’est pas celle d’un énième conflit entre un grand méchant studio et un pauvre artiste. Dans une longue interview inédite datant de 1977, Bass explique que ses relations avec Paramount, et Robert Evans en particulier, se sont avérées bonnes, voire fructueuses. Il y affirme avoir lui-même suggéré de se débarrasser de la séquence finale, de la simplifier, parce qu’elle ne le satisfaisait pas (et certains documents – mémos ou lettres – témoignent en effet de ses doutes). On peut bien sûr se dire qu’avec le recul Bass a préféré laisser croire qu’il a eu le dernier mot, mais aucun document préservé dans ses archives n’atteste que l’on a exercé des pressions sur lui ou qu’il ait regretté cette modification radicale. Et puis ses nombreuses hésitations au cours de longs mois de montage confirment à mes yeux son insatisfaction – ce qui n’empêche pas que l’on puisse considérer comme admirable cette fin dite originale.
Dans la « Post-Phase » de votre livre vous mentionnez le fait que Bass est le réalisateur d’un seul film parce que, peut-être, son insuccès et les déboires de sa compagnie l’ont contraint à abandonner tout projet ambitieux. Ne croyez-vous pas qu’un tel génie n’a tout simplement pas supporté que le public ne comprenne pas son travail ? La guerre perdue contre la Paramount concernant la promo du film, que vous évoquez dans votre ouvrage, a peut-être aussi toute son importance…
Vous avez raison de parler d’insuccès et non d’échec cuisant, comme on a tendance à le faire d’ordinaire. J’ai eu entre les mains les relevés financiers reçus par Bass et constaté qu’au bout de quelques années les comptes ont fini par s’équilibrer. Cela signifie que Paramount n’a pas gagné d’argent avec Phase IV, que Bass et ses principaux collaborateurs, en plus de leur salaire fixe, n’ont perçu aucun pourcentage sur de potentiels bénéfices, mais ce ne fut certainement pas une débâcle financière.
Évidemment, cet insuccès, que Bass a en partie imputé à une campagne promotionnelle qu’il détestait, l’a déçu. Il estimait avoir réalisé un bon film, pas le chef-d’œuvre du siècle, et jamais je n’ai senti, même dans ses lettres les plus personnelles, un ego surdimensionné. Pour des questions de méthode qui me tiennent à cœur, je préfère ne pas trop extrapoler à partir de quelques certitudes, croire que je suis en mesure de me mettre à la place d’un homme que je n’ai jamais connu, qui a eu une vie tout à fait différente de la mienne, à une autre époque, dans un autre pays, mais libre à chacun de le faire s’il le souhaite. En tout cas, Saul Bass a consacré à Phase IV beaucoup plus de temps qu’il ne l’avait initialement prévu et il a pu être échaudé par la somme de travail que requiert un long-métrage !
Hanzo
* Courts-métrages présent dans le coffret
Pour vous procurer cette superbe édition, cliquez sur ce lien : https://laboutique.carlottafilms.com/products/phase-iv-coffret-ultra-collector-15-blu-ray-dvd-livre
jeudi 4 juin 2020
Culture Prohibée sur iTunes
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Bonne écoute !