lundi 15 juin 2020
Voyage en Italie consacré aux dernières sorties Artus Films en compagnie de David Didelot
Artus Films honore régulièrement le cinéma populaire italien de superbes éditions. Récemment, trois grandes figures du Bis transalpin, Mario Bava, Lucio Fulci et Joe D’Amato, ont eu droit à des mediabooks mémorables.
Hercule contre les vampires
Lorsqu’il tourne Hercule contre les vampires (1961), Mario Bava vient de connaître un grand succès public et critique avec Le Masque du démon sorti l’année précédente. L’intrigue est simple, Hercule (Reg Park) revient après une longue absence et retrouve sa dulcinée dans un état second. Pour la guérir, il doit trouver une pierre sacrée enfoui au plus profond de la Terre, dans le royaume d'Hadès. Hercule ignore que celui qu’il croit être son ami, le roi Lico (Christopher Lee), est à l’origine de l’envoûtement qui frappe son amoureuse. Ce scénario minimaliste est l’occasion pour Bava de signer un film enchanteur, véritable sarabande de couleurs. Le metteur en scène déploie des trésors d’ingéniosité, en particulier lorsqu’il s’agit de magnifier ses décors. D’une beauté plastique sidérante, Hercule contre les vampires, incompris par la critique lors de sa sortie, est l’un des tous meilleurs péplums italiens. Le film est accompagné, entre autres, d’un fort bel ouvrage de Michel Eloy : Sur les berges du Styx. A signaler également, la sortie, en digipacks, de deux péplums de 1964 beaucoup moins ambitieux mais néanmoins sympathiques : Le Gladiateur magnifique d’Alfonso Brescia et Hercule contre Rome de Piero Pierotti.
Béatrice Cenci, Liens d’amour et de sang
A la fin des années 60, Lucio Fulci est surtout réputé pour être un bon faiseur de comédies, même si certains cinéphiles à l’œil aiguisé ont pu repérer son très bon western Le Temps du massacre (1966). 1969 Est un grand cru pour Fulci puisque c’est l’année de la sortie de Perversion Story et Béatrice Cenci, Liens d’amour et de sang. Ce dernier, long-métrage historique, bien que boudé par le public, est l’œuvre préférée du cinéaste. Les amateurs du poète du macabre considèrent, pour la plupart, que Béatrice Cenci est son meilleur film. Chef-d’œuvre nihiliste, le film est porté par un Georges Wilson prodigieusement cruel en Francesco Cenci, tyran incestueux, et une Adrienne La Russa sidérante de beauté qui campe Béatrice Cenci. Celle-ci, étonnamment ne connut pas une grande carrière, préférant devenir agent immobilier, tel que nous l’apprend l’excellent ouvrage dirigé par Lionel Grenier présent dans ce mediabook : Béatrice Cenci, sainte ou succube ?. Le film de Fulci, qui voit Béatrice, en 1599, attendre dans une cellule romaine son exécution, pose clairement la question ; l’attitude calculatrice qu’elle a avec son amant Olimpo (Tomas Milian, impeccable) ne plaide pas en sa faveur. A ne pas mettre devant tous les yeux, Béatrice Cenci, Liens d’amour et de sang est un sommet de noirceur, une des représentations les plus cruelles du moyen-âge, avec La Chair et le sang de Paul Verhoeven.
Rencontre avec David Didelot au sujet d’Emanuelle et les derniers cannibales
Si Joe D’Amato n’a pas la filmographie de Mario Bava et Lucio Fulci, il reste, dans le cœur des cinéphiles déviants, un metteur en scène à part, capable du pire mais aussi du meilleur, à l’image de son "glauquissime" Blue Holocaust. En 1977, D’Amato signe un monument du Bis avec Emanuelle et les derniers cannibales. David Didelot, que l’on ne présente plus, a signé Emanuelle au pays du sexe… et du sang, livre qui accompagne le collector édité par Artus Films ; nous sommes allés à sa rencontre.
Peux-tu, pour nos lecteurs, expliquer quelle est l'importance de Joe D'Amato dans l'histoire du bis Italien ?
A mes yeux, Joe D'Amato représente un peu ce foisonnement du cinéma bis italien dans les années 70, cette liberté de ton qu'on a un peu perdue aujourd'hui, et cette polyvalence incroyable de l'artiste - ou de l'artisan : le bonhomme aura touché à tous les genres, littéralement ! Bien sûr, sa carrière dépasse largement cette décennie, mais je crois que les traits saillants de son cinéma sont à aller chercher dans les seventies : notamment ce goût de la provocation, cette fascination pour "l'image-limite" et cette capacité à mélanger les fluides - au sens propre !… Et puis quantitativement parlant, c'est assez impressionnant ! Il est pour moi le chantre du cinéma d'exploitation, il sent les attentes du spectateur mais tente tout de même des choses, expérimente presque. C'est un businessman qui a su "exploiter" au bon moment les grands succès anglo-saxons et a fait bosser des réalisateurs inconnus ou oubliés, tout en donnant sa chance au meilleur d'entre eux, Michele Soavi (avec Bloody Bird)… Je salue aussi le Joe D'Amato producteur donc, et l'aventure Filmirage dans les années 80. En un mot, Joe D’Amato était peut-être bien le Roger Corman italien (l'un de ses réalisateurs préférés d’ailleurs), l'un de ces noms qui évoque le mieux ce que j’entends par cinéma bis : le savoir-faire, le système D et l’ingéniosité malgré des budgets peau-de-chagrin.
Comment expliquer l'aura dont Laura Gemser, interprète du rôle-titre, jouit auprès de la communauté bissophile ?
D'abord, elle était extrêmement belle, ce qui ne gâche rien ! Et puis le fait qu'elle ait totalement disparu des écrans radar augmente encore le mythe je pense, lui confère une espèce de mystère qui plaît aux amateurs. Laura Gemser, c'est un peu une étoile filante, aussi brillante qu'éphémère. Je crois aussi que son nom est définitivement associé à la carrière de Joe D'Amato justement, même si elle a travaillé pour d'autres réalisateurs évidemment : une actrice fidèle en quelque sorte, qui appartenait à une "équipe" totalement dévolue à Joe D'Amato : Gabriele Tinti, George Eastman, Venantino Venantini et j'en passe. Et puis sa carrière recouvre les années bénies du cinéma bis italien, au point qu'elle est devenue un symbole : celui d'un cinéma érotique disparu. Et comme la nostalgie est à la mode…
C’est quoi le phénomène Black Emanuelle ?
Alors le phénomène Black Emanuelle est évidemment né suite au succès de l'Emmanuelle de Just Jaeckin en 1974, même si les fonds baptismaux de la série sont aussi à chercher ailleurs : dans le tout premier rôle de Laura Gemser notamment. Evidemment, les Italiens sentent le bon coup et embrayeront sur leur propre version du personnage : Bitto Albertini d'abord (le tout premier Emanuelle nera en 1975), puis Joe D'Amato pour les épisodes suivants. Celui-ci donnera d'ailleurs à la série une coloration plus glauque et plus violente, obéissant en cela à son inclination propre pour l'image déviante et choquante. Et je ne parle même pas des épisodes mis en boîte par Bruno Mattei, lequel plonge notre héroïne dans l'univers dégueulasse du film de prison pour femmes (le WIP) ! Mais globalement, il sourd de cette série une ambiance insouciante et libertaire qui seyait assez bien à l'époque. A chaque fois, notre journaliste parcourt le monde à la recherche des scoops les plus improbables, dans les milieux les plus interlopes : une déclinaison pour adultes de Tintin en quelque sorte ! Et une héroïne bien plus amusante (et affolante !) que notre Emmanuelle nationale, peut-être trop guindée et trop cérébrale de son côté… Dans la série, Emanuelle est une femme indépendante et émancipée, radieuse et épanouie dans sa sexualité, hédoniste en amour (avec les hommes comme avec les femmes), presque antique dans sa conception du plaisir et dont l'existence serait une bacchanale toujours recommencée. Je crois que le personnage a fasciné pour tout cela. Il entrait en résonnance avec les aspirations libertaires et libertines de la période. Aujourd'hui, je me demande d'ailleurs si certains films de la série passeraient l'épreuve du politiquement correct… Quelle régression… Mais c'est un autre sujet !
Les remerciements adressés par la production, lors du générique final, aux autorités brésiliennes de Tapurucuana, constituent un gros mensonge. En fait, le film a été tourné à New-York et en Italie. Tout cela est très révélateur de ce qu'était le Bis Italien ?
Oh oui ! On n'en était pas à ça près dans ce petit univers… Comme de faire croire qu'on s'appuie sur tel ou tel écrivain pour son film (ça fait toujours bien un petit cachet littéraire) ou de dire qu'on s'inspire d'une histoire vraie… C'est l'obsession vériste qui transpire, au point de s'arranger avec la réalité, de brouiller les frontières entre illusion et vérité : le procédé rappelle d'ailleurs celui des mondo films, dont les codes sont largement utilisés dans le cinéma de Joe D'Amato. Le spectateur n'est pas dupe je pense, et on retrouve là cette dimension ludique du cinéma bis, ce côté "fête foraine" du cinéma de l'époque : la vitrine brille de mille feux, l'enseigne promet beaucoup, et l'on est complice de l'entourloupe.
Que dire à nos lecteurs pour les inciter à voir Emanuelle et les derniers cannibales ?
Alors écoute, je dirai qu'Emanuelle et les derniers cannibales est l'un des films les plus emblématiques de l'œuvre de Joe D'Amato, une espèce d'essence de ce qu'est le bis italien de l'époque : érotisme, exactions gore, exotisme, belle musique de Nico Fidenco, superbes filles aux prises avec d'affreux sauvages (dont la splendide Susan Scott, et rien que pour ça !)... C'est peut-être même l'épisode le plus attachant de la série, dans sa folle naïveté et son esprit ultra racoleur. L'un de mes films préférés toujours est-il !
Hanzo
Pour vous procurer ces superbes éditions, cliquez sur ce lien :
http://lesfilmsdelagorgone.fr/topic2/index.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire