lundi 16 juillet 2018

Lectures - La playlist de l'été 2018 - Episode 3 : Les essais cinéma avec Virgin Suicides de Sofia Coppola par Pierre Jailloux (Collection Contrechamp-Editions Vendémiaire) & Tony et Ridley Scott, frères d'armes par Marc Moquin (Playlist Society)


Se replonger dans des bons vieux classiques du Septième Art pendant que les autres font bronzette est une des activités favorites du cinéphile en période estivale. Et pour cela, quoi de mieux que deux bons livres sur le cinoche au format poche, ou presque (info utile lorsque le soleil est à son zénith). Commençons par le commencement avec un ouvrage autour d'un premier long-métrage, et pas n'importe lequel, puisque c'est le meilleur de sa réalisatrice Sofia Coppola : Virgin Suicides.


Signé Pierre Jailloux, déjà coauteur, en 2017, d'un fabuleux livre collectif sur Jacques Tourneur (Capricci), Virgin Suicides de Sofia Coppola (Collection Contrechamp-Editions Vendémiaire) est une analyse très poussée de cette mise en images romantique d'un fait divers sordide : Le suicide de cinq jeunes sœurs. Belles, blondes et intelligentes, les frangines Lisbon vivent une vie paisible (en apparence) dans une banlieue étasunienne huppée durant les années 70 ; d'où l'incompréhension devant leur suicide. Le film, adapté d'un livre de Jeffrey Eugenides, est narré 25 ans après les faits par un homme qui, adolescent, avec ses potes, était tombé en amour devant les jolies sœurettes Lisbon. Pourquoi se sont-elles données la mort ? Parce qu'elles étaient élevées dans un climat catholique pesant ? Parce qu'elles s'ennuyaient ? De nombreuses questions hantent Virgin Suicides, Pierre Jailloux tente de décrypter tout cela.


L'ouvrage est articulé autour de différentes thématiques qui visent à éclairer Virgin Suicides, mais aussi le reste de la filmographie de Sofia Coppola. Certaines analyses de Jailloux sont très bien vues, telle celle consacrée au Complexe d'Andromède, passionnante. Chaque argument puise sa source dans un élément de la filmographie de Sofia Coppola. La thématique Fashion Victim dénote une connaissance particulièrement poussée du travail de la réalisatrice par l'auteur. Quant au rapprochement "arthurien" (version Alfred Tennyson) à travers l'évocation de La Dame de Shalott, il est très pertinent et ouvre de nouvelles perspectives sur le film. Si Jailloux délivre une analyse aussi juste, c'est parce qu'il ne tombe pas dans le piège de l'extrapolation. Il s'appuie sur l'analyse de la mise en scène, à l'image de ses quelques lignes intitulées Remplissages. En bref, Virgin Suicides de Sofia Coppola par Pierre Jailloux vient enrichir, en qualité, la collection Contrechamp (Editions Vendémiaire), vivement le prochain titre.


Il y a un autre éditeur que nous aimons beaucoup dans la rédaction de Culture Prohibée, c'est Playlist Society. Son catalogue s'enrichit d'un nouveau titre, Tony et Ridley Scott, frères d'armes de Marc Moquin. Ce dernier, réalisateur de courts et de pubs à ses heures perdues, a une double actualité avec la sortie en librairie du premier numéro du mook dont il est le rédac'chef : Revus & Corrigés. La revue se consacre à l'actualité du cinéma de patrimoine (en gros, les films tournés entre 1895 et les années 2000 - choix plutôt vaste).


Moquin voue son étude à deux frères qui ont connu des trajectoires différentes, l'un est adulé par la critique depuis son premier long, Les duellistes (1977), primé à Cannes, l'autre est régulièrement vilipendé, accusé de produire un cinéma abrutissant et décérébré (Top Gun-1986). Et pourtant, leurs réalisations ont de nombreux points communs, ce que tente de démontrer Marc Moquin dans Tony et Ridley Scott, frères d'armes. Il y parvient, non sans panache, arguant que si Ridley Scott est connu pour ses classiques SF (Alien le huitième passager en 1979, Blade Runner en 1982) et ses épopées historiques (1492 : Christophe Colomb en 1992, Kingdom of Heaven en 2005), il a toujours réalisé, comme son frère, des "films mondes dans lesquels l'humain est au cœur des systèmes politiques qu'il combat". Si Ridley Scott, l'auteur maniaque, a toujours eu une vision assez pessimiste, Tony, le faiseur formaliste, s'est, quant à lui, révélé humaniste, n'hésitant pas à accorder la rédemption à ses personnages (True Romance en 1993, Man of Fire en 2004).


Né en 1937, Ridley est l'aîné, il a toujours veillé sur Tony (1944-2012), plus particulièrement durant une enfance compliquée. Comme nous le rappelle l'ouvrage, le père des frangins était militaire, d'abord dans une Allemagne en reconstruction puis dans l'Angleterre industrielle qui inspira à Ridley l'aspect rétro-futuriste de son Blade Runner. Cet environnement particulier explique, sans aucun doute, la volonté des frères à construire des univers hors-normes. Moquin effectue quelques rapprochements passionnants, entre le politisé USS Alabama (1995) et le moyen A armes égales (1997), par exemple, ou entre le radical Domino (2005) et l'émouvant Thelma et Louise. Alors, Tony était-il le plus fragile des deux ? Personne ne le sait, en tout cas, il s'est donné la mort le 19 août 2012 et, depuis, le cinéma de Ridley Scott est encore plus nihiliste. A une exception près, comme le fait remarquer Moquin, Seul sur Mars (2015), réalisé après le décès de Tony. Un film dans lequel Ridley fait preuve d'une confiance inébranlable en l'être humain, en son intelligence, comme un dernier hommage à Tony. Vous l'aurez compris, Tony et Ridley Scott, frères d'armes (Playlist Society) de Marc Moquin est un ouvrage indispensable pour les amateurs de cinéma "Scottien".

Hanzo

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