dimanche 31 mai 2020

Rencontre avec Sébastien Rongier (Alma a adoré - Marest Editeur)


Alma a adoré (*) (Marest Editeur) est un ouvrage singulier signé Sébastien Rongier (**). Quelque part entre l’essai et la fiction, Alma a adoré est une rêverie partant de la scène de la douche dans Psychose. L’auteur réussit son pari (risqué) : écrire un livre original sur Alfred Hitchcock. Passionnée par cet ouvrage, notre rédaction est allée à la rencontre de Sébastien Rongier.

Alma a adoré est un livre singulier, à mi-chemin entre l’essai et la littérature. Comment vous est venue l’idée de ce livre et comment s’est déroulée son écriture ?
Le livre est presque né par hasard (un hasard objectif, diraient les surréalistes). Je faisais un cours sur la question de la citation et j’ai pris l’exemple de quelques citations de la séquence de la douche (chez Brian de Palma ou Mel Brooks). J’ai prolongé la discussion avec Gus van Sant et je me suis rendu compte que je n’avais visité que le haut de l’iceberg. J’ai donc remonté mes manches et je me suis mis au travail en constatant assez rapidement que cette seule question de la citation de Psychose était un océan infini. De plus, j’ai pleinement pris conscience à l’occasion de cette première réflexion que ce film avait engendré un véritable réseau artistique entre les citations, les remakes (explicites comme implicites), les suites (cinématographiques ou littéraires), les relectures par les séries ou par le monde de l’art contemporain… bref j’ai constaté qu’il y avait une véritable obsession artistique de ce film et de sa séquence la plus célèbre. La question était alors moins de faire une simple recension de toutes ses formes que de se demander pourquoi. Pourquoi cette séquence est-elle si importante ? C’est tout simplement au cours d’une conversation à bâton-rompu avec Pierre-Julien Marest (N.D.L.R. : éditeur du livre), évoquant avec lui ce « terrain de jeu » et ces questions qu’il m’a proposé de transformer cela en un livre. Le chemin d’écrire a été un long parcours vers le retour aux sources. En forçant un peu le trait, je pourrais dire que je suis parti de Gus van Sant ou Douglas Gordon pour arriver au Psychose d’Hitchcock, et même de remonter encore un peu plus loin vers Clouzot ou Robert Bloch… puis de redescendre vers Hitchcock et l’ensemble des effets cinématographiques qu’il produit.
Si la figure d’Hitchcock et de Psychose sont significatives pour l’histoire des arts, elles sont également importantes pour moi. Pourquoi consacrer une partie de son temps et de son énergie à réfléchir sur ce cinéaste et à écrire sur lui ? J’écris autant des essais que des romans et chaque livre doit être moi une aventure personnelle, intime. La nécessité est exclusivement intérieure. Cette question, cette dynamique, cette énergie font partie intégrante de la démarche d’écriture. Chaque livre que j’ai la chance d’écrire s’inscrit dans cette démarche. Comme je suis en dehors de tout réseau (professionnel, académique ou intellectuel), je me sens de plus en plus libre dans les choix d’écriture que je peux adopter. De plus, rencontrer un éditeur comme Pierre-Julien Marest favorise cette liberté de l’écriture et de la forme. Ecrire sur Psycho et sur son héritage esthétique, c’est aussi interroger ma propre relation à Hitchcock. Je ne m’abstraits pas de la question esthétique, d’autant moins que Hitchcock a formulé une idée précise de son travail de cinéaste : la direction de spectateur. Ayant été dirigé par Hitchcock, il me revient de droit d’interroger ma propre relation avec ses films. C’est la raison pour laquelle je consacre quelques chapitres à cette question, y compris dans une petite mise en scène fictionnelle qui ouvre le livre.
Le dernier élément dans l’écriture du livre est l’ensemble des illustrations qui accompagnent et approfondissent le propos. Pendant l’écriture du livre, nous échangions Pierre-Julien Marest et moi, des images comme une sorte de dialogue visuel jusqu’au moment où l’éditeur m’a proposé une architecture visuelle. C’est essentiellement un travail de Pierre-Julien Marest qui a composé des prolongements visuels à mon texte et qui est la trace de nos échanges et de notre émulation.



Cette forme particulière n’était-elle pas, également, un moyen astucieux pour contourner l’écueil d’écrire sur un immense cinéaste déjà sujet de nombreuses études ?
Oui, le livre s’ouvre donc sur une déambulation fictionnelle. Je suis dans le musée Rigaud de Perpignan et je rêve un tableau qui y a été volé… le tableau que justement Norman Bates décroche pour regarder Marion Crane se déshabiller. Je connais ce musée et la ville de Perpignan. Cette ouverture permet de déplacer la forme de l’essai. Alma a adoré deviendrait un livre issu d’une rêverie, d’une fantasmagorie artistique. C’est en effet une manière de contourner l’idée de l’étude sur un auteur célèbre. C’est le replacer dans ce geste d’écriture et d’intimité que je viens d’évoquer.
Et puis, vous avez sans doute raison, c’est aussi une manière de dégonfler le geste parfaitement inconscient qui est d’écrire sur Hitchcock. Non seulement écrire sur Hitchcock (quelle présomption) mais en plus écrire après tous ceux qui ont déjà écrit (et tout écrit) sur le cinéaste (quelle prétention). Soit on est écrasé et alors on abandonne. Soit on fait un pas de côté, on prend sa respiration et on y va. Parce que ce qui compte d’abord c’est l’expérience et les découvertes que l’on fait et que l’on veut partager. C’est cela qui importe. Pour vous donner un exemple simple. Avant ce travail sur Psychose, je ne connaissais Robert Bloch que de nom. Je savais qu’il était l’auteur du roman, le point de départ pour l’adaptation. Je lis un auteur incroyable et je découvre surtout que Robert Bloch a écrit deux suites à son roman après le film d’Hitchcock. Je lis donc ses livres et son autobiographie. Je me rends compte que c’est un écrivain publié en France mais connu des seuls amateurs du genre mauvais genre alors même que son œuvre entretient une relation très serrée avec le film d’Hitchcock et avec l’industrie du cinéma hollywoodien. Alma a adoré est aussi l’occasion de partager cette petite découverte. Elle n’est pas seulement personnelle, elle enrichit également la compréhension du phénomène Psychose. C’est la même chose pour les suites du film d’Hitchcock, toutes interprétées par Anthony Perkins. Tout le monde s’accorde d’une manière un peu nébuleuse s’accorde à ne pas trouver cela très bon. Au regard du film d’Hitchcock, on peut être d’accord mais cela n’interdit en rien de regarder les films au même titre que les séries ou les films qui citent Psychose. Si l’on veut bien les regarder, et surtout les regarder bien, ces films peuvent être passionnants. Ils le sont d’abord au titre de suites. Comme c’est une des pistes de mon livre, impossible d’y échapper. Mais surtout, si l’on fait un autre petit pas de côté, les suites deviennent (pour moi) passionnantes si l’on regarde la relation de Perkins avec son personnage. C’est une singularité dans l’histoire du cinéma. Elle demeure un angle mort dans l’analyse française.


Le livre débute par votre visite au Musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan, là où était exposé (avant son vol en 1972) un tableau dont une copie est visible dans Psychose : Suzanne et les vieillards de Willem van Mieris. Un tableau que Norman Bates décrochait pour pouvoir s’adonner à l’activité de voyeur. Quelle importance tient cette peinture, qui semble très importante pour vous, dans le panthéon hitchcockien ?
Ce tableau est pour moi un hasard et une surprise. Je connaissais la scène. Je savais qu’il y avait des tableaux dans le bureau de Norman. Je me souvenais que Norman décrochait un tableau. Mais, dans mes souvenirs de simple spectateur. Je n’étais pas allé plus loin. Comme tout un chacun. Plus tard, commençant à travailler sur Hitchcock, j’ai découvert cette obsession de la maîtrise et donc du détail et ce goût profond pour la peinture. Le cinéma d’Hitchcock est traversé par la peinture et par la présence de tableaux qui deviennent de véritables sites de signification. Je ne reviendrai pas sur les exemples nombreux de tableaux (de Rebecca à Vertigo), le travail avec Dali sur La Maison du Docteur Edwardes ou le personnage du peintre dans Mais qui a tué Harry ? Les analyses et les expositions ont été très nombreuses pour relever ou révéler ces aspects dans l’œuvre du cinéaste.
Le cas est absolument puissant dans Psychose puisque le tableau de Willem van Mieris Suzanne et les vieillards est à la fois une scène de voyeurisme et de viol. Ce que le tableau montre (furtivement) est une anticipation de ce qui va se produire : le voyeurisme, puis la violence meurtrière. Le tableau est donc un signe de la pulsion de Norman et de son histoire. Ce choix montre l’absolue maîtrise du propos d’Hitchcock et la précision de sa mise en scène. De nombreux critiques et universitaires se sont penchés sur ce tableau. Je m’y suis également intéressé pour le film d’Hitchcock mais aussi pour les autres films et formes citationnelles qui reprennent le motif du tableau. Là où Hitchcock en fait une puissance de mise en scène et de mise en discours (iconologique), que se passe-t-il pour ceux qui vont marcher sur les pas du cinéaste. Ce tableau devient en quelque sorte une vigie qu’aurait laissé Hitchcock à ses successeurs. Enfin, ce tableau devient une affaire personnelle quand je découvre par hasard que l’œuvre de Willem van Mieris se trouvait dans les collections du musée Rigaud de Perpignan que je fréquente au moins une fois par an depuis sa réouverture. Tout à coup, mes petites réflexions esthétiques s’inscrivent dans ma vie ordinaire et personnelle. C’est un merveilleux hasard qui nourrit l’enthousiasme (et l’imagination). Lorsque j’apprends que le tableau a été volé en 1972, mais que, surtout, il n’a jamais été retrouvé… je suis au bord de l’évanouissement : la réalité est plus redoutablement hitchcockienne qu’un film du cinéaste.


Votre livre, partant de ce rendez-vous manqué (?) avec Suzanne et les vieillards, va développer toute une série de réflexions autour du film d’Hitchcock. Elles démontrent à quel point Psychose est à la fois un jalon dans l’histoire du cinéma et de la culture populaire. En quelques mots, comment expliquez-vous cette capacité d’Hitchcock à produire à la fois un cinéma très exigeant et très accessible ?
Il y a quelque chose de tout à fait passionnant dans cette bascule cinématographique qu’est l’année 1960, celle de la sortie de Psychose. Hitchcock est un cinéaste anglais qui arrive à Hollywood et va très vite comprendre que les mécanismes des Studios hollywoodiens vont lui permettre d’amplifier son geste artistique. C’est fascinant de voir comment le geste artistique prend forme à l’intérieur d’une structure économique très rigide : la manière avec laquelle il structure son écriture cinématographique durant sa collaboration avec le producteur David O. Selznick ou comment il impose Psychose contre vents et marées. La production de ce film montre combien Hitchcock est à la fois un auteur et un faiseur hollywoodien. Notre connaissance d’Hitchcock est particulièrement orientée par la lecture politique des auteurs issue des Cahiers du cinéma et de la lecture de Truffaut. Mais Hitchcock est également un cinéaste qui connait parfaitement les mécanismes de l’entertainment hollywoodien. Ce dernier aspect est un angle mort de la critique cinéphilique française.
Psychose est le rendez-vous parfait entre cette logique auteuriste et cette dynamique commerciale. Psychose est le film d’un auteur qui bouleverse et renverse les codes de son époque : codes narratifs et commerciaux (tuer la star, le personnage principal à la moitié du film), codes moraux (identification au tueur, mise en scène de la sexualité et de la pulsion la plus violente) et codes de la censure (le code Hays). Ce film de 1960 qui s’inscrit dans le circuit commercial le plus classique et le plus grand public, renverse littéralement la table de la représentation cinématographique. Le cinéaste Hitchcock est au meilleur de sa forme, et plutôt que de prolonger le succès de La Mort aux trousses, il choisit de remettre en cause les formes esthétiques. C’est la dimension auteur qu’on a l’habitude d’analyser en France. En revanche, on évoque moins l’inscription d’Hitchcock à l’intérieur de la machine hollywoodienne. Or c’est justement parce qu’Hitchcock est en 1960 au plus près des différentes manières de produire et de fabriquer des images qu’il peut imposer ses choix. Les producteurs hollywoodiens ne voulaient pas voir le film aboutir. Hitchcock a mis son propre argent et s’est appuyé sur sa connaissance de la télévision. A l’époque de l’élaboration de Psychose, produit alors un programme Alfred Hitchcock presents. Il produit l’émission. Il tourne quelques épisodes et surtout, il présente chacune des histoires montrées à la télévision. Il acquiert une popularité inédite grâce à ces présentations dans lesquelles il se met toujours dans des situations drôles et remplies d’autodérision. Il utilise cette expérience pour le lancement du film en utilisant son image de célébrité populaire pour la promotion de Psychose. La manière dont il gère l’accès aux salles est inédit et incroyable. La bande-annonce du film est tout simplement un chef-d’œuvre de drôlerie et de chausse-trappe. Elle est une conséquence directe de son expérience audiovisuelle. Le succès du film doit à ces deux aspects : la qualité intrinsèque de l’œuvre du cinéaste et le génie commercial qu’il impose particulièrement pour ce film. Les deux me semblent aussi pertinents pour comprendre la place de ce film dans l’histoire du cinéma. C’est pourquoi je pense qu’Alfred Hitchcock est autant un immense cinéaste qu’une des premières figures significatives de la pop culture.


Quel est votre point de vue sur la polémique initiée par Saul Bass concernant la paternité de la séquence de la douche ? Dans votre livre vous parlez de "bouffée délirante", vous abordez également un mécontentement moins connu, celui du scénariste Joseph Stefano (au sujet d’une paire de fesses) …
Tout le monde a dû sentir au moment de la production et du tournage de ce film qu’il était en train de se passer quelque chose d’important et de transgressif. Lorsque Hitchcock lit le roman de Robert Bloch, il voit immédiatement le potentiel cinématographique du meurtre dans la salle de bain. Il obtient les droits du livre pour tourner cette séquence de la douche qui germe dans l’esprit cinématographique d’Hitchcock. Le tournage du film est assez rapide car Hitchcock utilise les techniques et une partie des équipes de son programme télé. Mais il consacre un temps considérable pour la réalisation de la séquence de la douche. Pas moins de sept jours de tournage avec une équipe réduite et dans le plus grand secret. Hitchcock a fait travailler deux scénaristes pour l’adaptation. Le premier n’a pas convenu, le second Joseph Stefano est parfait. Il a des idées et des propositions émergent des échanges serrés avec Hitchcock. La séquence de la douche est envisagée par Hitchcock comme le rendez-vous du film. C’est le moment du cinéaste. Il demande à Saul Bass avec qui il a déjà travaillé sur Vertigo et sur La Mort aux trousses de réaliser le story-board de la séquence à partir des indications d’Hitchcock. Au moment du tournage, il suit le découpage de Bass tout en inventant d’autres propositions. Tournage, montage, musique posée par Bernard Herrmann (musique essentielle proposée, presque imposée par Herrmann car Hitchcock voulait une séquence sans musique). Le film est terminé. Saul Bass compose le générique. C’est un succès extraordinaire. Saul Bass y a contribué, comme tous ceux qui ont travaillé sur le film. Mais Saul Bass, au cours d’une interview, réclame la paternité de la séquence. Il déclare avoir tourné cette séquence. Il est vrai qu’Hitchcock a été malade pendant le tournage de Psychose. Il a demandé à Bass de tourner, sur ses indications, le meurtre d’Arbogast. Mais après avoir vu les rushs, Hitchcock retourne tout. Ce qu’avait fait Saul Bass n’était pas satisfaisant. En revanche, personne n’accrédite la déclaration de Bass. Des techniciens à Janet Leigh en passant par Stefano, la production ou Marli Renfro (la doublure corps), tous récusent l’assertion de Bass, chacun se demandant ce qui a bien pu lui passer par la tête. C’est le syndrome du kairos (le moment opportun en grec). Saul Bass a sans doute voulu être reconnu pour le travail effectué. Ayant tellement visualisé cette séquence, il a fini par se convaincre de l’avoir tourné lui-même. C’est de la psychologie de cuisine, je le concède volontiers. Ce qui est important, c’est que cette controverse se situe sur cette séquence précise, amplifiant son épaisseur historique.
L’autre contrariété est celle de Stefano. Le scénariste avait écrit cette séquence. Il était allé très loin dans la description très crue de la séquence, notamment évoquant les fesses de Marion décédée. Hitchcock a tourné ce plan en plongée montrant le corps de Marion de dos, la tête sur le sol et les fesses dans la baignoire. Il figure visiblement dans le premier montage. Le plan est vraiment osé pour l’époque. Trop osé. Hitchcock le sait car c’est toute la séquence qui est trop osée pour l’époque. N’oublions pas qu’en 1960 les films passent encore devant un comité de censure qui, après visionnage, accorde un droit de sortie ou demande des révisions (des coupes). Hitchcock le sait. Il sait qu’il doit jouer avec ce comité. Comme il est capable de diriger son spectateur, Hitchcock est également en mesure de diriger le regard du censeur. Ce plan est impossible. Hitchcock le sait. Il est là pour être sacrifié afin de faire passer le reste, tout le reste. Stefano sera blessé par ce qu’il a cru être une reddition alors qu’il s’agissait d’une stratégie. Une fois de plus l’attention est focalisée sur ce moment. Au final, Joseph Stefano se réconciliera avec le film d’Hitchcock puisqu’il sera le scénariste de l’ultime opus Psychose IV.


Votre ouvrage se conclut par une pulsion scopique. Diriez-vous que Psychose est un film ultime sur le cinéma car choisissant comme sujet principal la scopophilie ?
Je ne dirai pas qu’il s’agit d’un film ultime. Dans la mesure où ce film produit toujours des effets cinématographiques et culturels, interroger l’univers esthétique d’autres créateurs et continue de titiller l’esprit de spectateurs comme vous et moi, je n’utiliserai pas le terme ultime. En revanche, le film propose une expérience cinématographique radicale qui est un tournant historique et esthétique. La question du regard est centrale pour Hitchcock parce qu’il a une conscience aiguë du spectateur dont il interroge le voyeurisme. De ce point de vue, Fenêtre sur cour (autre grand film sur le voyeurisme) est le versant didactique et plus explicitement métadiscursif. Ce film élabore une théorie et un dispositif du voyeurisme et de la scopophilie, offrant au spectateur un miroir assez évidemment perceptible. Les données de Psychose sont assez différentes, me semble-t-il. Le spectateur n’est pas là pour réfléchir sur le voyeurisme et sur sa propre condition de voyeur. Nous ne sommes pas dans un espace intellectuel sophistiqué (Hitchcock adore créer ce type de dispositif - cf. La Corde ou Vertigo). Avec Psychose le spectateur fait une expérience de la violence. D’une certaine manière, la question est moins celle du scopique que celle de la pulsion. Le spectateur de 1960 connait la mise en scène du regard chez Hitchcock et la question du voyeurisme. Avec Psychose, il déplace la logique pour proposer une expérience inédite. Il est assez troublant de constater que Michael Powell ne fait pas autre chose la même année avec Le Voyeur. Il est tout aussi radical qu’Hitchcock. Peut-être même plus. Ce film va cruellement peser sur la carrière de Powell alors que Psychose assoit définitivement la place d’Hitchcock.
Pour essayer d’aller plus loin dans ma réponse imparfaite, je ne suis plus si sûr aujourd’hui que Psychose ait pour sujet principal la scopophilie, même si c’est un axe puissamment mis en scène par Hitchcock (le regard voyeur, les miroirs, le tableau de Willem van Mieris, le motif du trou, etc.). Tout le travail qu’on retrouve dans Alma a adoré, m’a permis de découvrir la profondeur et la complexité du personnage de Norman Bates (ce que Perkins essaye de montrer, me semble-t-il, dans les suites qu’il tient à bout de bras). En revoyant le film en salle à plusieurs reprises, j’ai aussi été beaucoup plus sensible à la matière sonore du film. Elle est d’une richesse puissante et discrète. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’un des effets cinématographiques de Psychose est de faire du thème de la scopophilie un sujet cinématographique majeur et déterminant.


Pour finir sur une note plus romantique, j’ai envie de vous demander si vous n'êtes pas le cinéphile fétichiste qui a subtilisé Suzanne et les vieillards ?
J’adorerais vous offrir ce scoop en forme d’aveu : oui, chaque soir, je sors de ma cachette secrète le tableau de Willem van Mieris. J’adorerais vous dire que j’ai été sur les toits de Perpignan une sorte de réincarnation du Cary Grant dans La Main au collet. Je pourrais rêver d’être une sorte de génie du crime qui aurait récupéré le tableau des mains mêmes du voleur… je serais alors, dans le secret du recel crapuleux, un collectionneur compulsif de tous les tableaux apparus ou ayant inspiré les films d’Hitchcock. La collection serait somptueuse. Je pourrais ainsi me rêver en criminel tout droit sorti d’un film de Lang, mais un criminel langien qui collectionnerait les fétiches hitchcockiens.
Seulement voilà, la réalité est toujours plus cruelle et sordide que nos rêves cinématographiques inavoués : en 1972, au moment du vol de ce tableau, j’avais deux ans !
Hanzo

(*) : Pour vous procurer cet ouvrage, rendez-vous sur le site de l’éditeur : https://www.marestediteur.com/produit/alma-a-adore-de-sebastien-rongier/

(**): Sébastien Rongier est à la fois écrivain, philosophe et théoricien du cinéma ; pour en savoir plus sur cet auteur nous vous invitons à visiter le site "Fragments" : http://sebastienrongier.net/

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