lundi 11 mai 2020
Entretien avec David Da Silva auteur de Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié (Editions LettMotif)
Malgré le déconfinement annoncé, nos studios de radio restent fermés. Aussi, notre rédaction a décidé de vous proposer des chroniques et entretiens au sujet de films et de livres qui devaient être abordés dans nos émission du deuxième trimestre. La première interview concerne l'ouvrage Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié paru aux éditions LettMotif (disponible ici). Il est signé David Da Silva, un habitué de Culture Prohibée qui a déjà consacré plusieurs essais à des acteurs populaires et aux liens entretenus entre la politique et le cinéma (pour faire plus ample connaissance avec son œuvre, cliquez sur ce lien). Il revient, en notre compagnie, sur Cultural Studies et Hollywood, le passé remanié.
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce que sont les Cultural Studies ?
Les Cultural Studies apparaissent, dans les années 1950, dans la société britannique d’après-guerre. Ces nouvelles recherches se penchent sur les changements sociaux, comme l’immigration ou la disparition progressive de la classe ouvrière. Les changements culturels sont également étudiés, avec l’influence de la culture américaine et la propagation de la culture de masse. Edward Thompson, Raymond Williams et Richard Hoggart se penchent sur la formation de la classe ouvrière, les cultures populaires et les contestations culturelles. Ces préoccupations proviennent de chercheurs issus d’un milieu ouvrier et qui découvrent le monde de l’Université. En 1957, Hoggart publie un ouvrage, La Culture du pauvre, dans lequel il étudie l’influence de la culture diffusée par la classe ouvrière par le biais des moyens de communication moderne. Les Cultural Studies relient la culture et les problèmes de société. Mais la culture élitiste et bourgeoise n’est plus centrale. Au contraire, ce sont les cultures populaires qui deviennent valorisées.
Partant de cette définition, votre livre est, dans un premier temps, constitué d’un historique. Il en ressort que ces recherches partaient plutôt d’une bonne intention avant d’être totalement dévoyées. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les Cultural Studies vont traverser l’Atlantique pour s’imposer progressivement dans les universités américaines. Depuis les années 1930, en effet, les universités adoptaient une approche historique très différente, et même opposée. Sous l’impulsion de chercheurs comme Perry Miller, les universitaires tentaient de définir intellectuellement et existentiellement la civilisation américaine. Il fallait en somme rendre compte des origines du pays et indiquer clairement ce que signifie « être » américain. Plusieurs universités, dont celle prestigieuse de Yale, ont créé un département d’Histoire, Arts et Lettres où l’on tentait de démontrer qu’il existe un « esprit américain », représenté par des valeurs comme l’optimisme, l’idéalisme, le pragmatisme, l’innocence ou encore l’individualisme. Pour définir l’esprit américain, les universitaires ont mis en œuvre une approche pluridisciplinaire. Ainsi, l’histoire, la sociologie, la littérature ou la politique ont été sollicités pour décrire au mieux les mythes de la société américaine (l’Ouest américain, la Frontière, la Destinée Manifeste…). Selon les chercheurs issus des American Studies, l’Amérique était donc un ensemble de valeurs partagées qui permettait de définir le fameux esprit américain et d’unifier le pays malgré le melting-pot. L’histoire américaine devait être mythifiée afin de forger une identité nationale forte. Cette dernière était évidemment représentative de l’idéologie WASP, et elle était censée permettre l’union du pays en dépit des clivages sociaux et ethniques. Cette conception de la nation a fonctionné durant de nombreuses années (le melting-pot), mais elle a commencé à se fissurer progressivement devant les multiples contradictions de la société outre-Atlantique. Comme l’a remarqué Marc Ferro, les États-Unis sont passés de l’idéologie du « melting-pot » - où la guerre civile est envisagée comme fondatrice de la cohésion sociale - à celle du « salad-bowl », qui conteste la théorie de la nation unie et met en avant l’idée de cultures variées sur un même territoire. De fait, la crise sociétale des années 1960 et 1970 aux États-Unis va bouleverser durablement les fondements de la société. Les mythes américains vont être définis comme étant ceux de la majorité blanche hétérosexuelle des élites du pays. La contre-culture va vouloir déconstruire cette histoire mythifiée afin d’accorder une place légitime aux minorités qui forment la société américaine. C’est ainsi que les American Studies vont progressivement laisser leur place aux Cultural Studies, exportées par les chercheurs anglais aux États–Unis avec l’apparition de divers départements soulignant le caractère hétérogène de la civilisation américaine. On peut notamment citer les African American Studies, les Gender Studies, les Queer Studies, les Native American Studies, les Jewish Studies… Les Cultural Studies vont se démarquer des American Studies en ne s’intéressant plus aux grandes œuvres, mais à la culture populaire et à la réception des œuvres par le public. Hollywood, de nos jours, est évidemment très influencé par cette nouvelle idéologie qui promeut les minorités, et plusieurs films vont totalement renverser la traditionnelle vision triomphante du mâle blanc hétérosexuel. Par exemple, le western va subvertir l’habituelle vision manichéenne qui magnifie le cow-boy blanc face à la menace de l’indigène violent et sauvage. Cette description simpliste commencera à changer à partir des années 1960. Des films comme Little Big Man (1970) d’Arthur Penn ou Soldat bleu (1970) de Ralph Nelson vont plutôt mettre en avant les massacres de l’armée américaine et les habituels « bourreaux » des histoires de cow-boy vont devenir les « opprimés ».
Vous reprenez, dans votre ouvrage, chacune des catégories concernées par des Cultural Studies. Le constat réalisé fait apparaître une grande distorsion entre le ressenti du public et celui des chercheurs. Vous citez, entre autres exemples, Hidalgo (Joe Johnston-2004) ayant été analysé comme antiféministe tout en ayant beaucoup plu au public féminin. Comment l’expliquez-vous ?
L'obsession de ces études estampillées Studies est de démontrer qu'une minorité est forcément discriminée dans un produit culturel: ainsi, par exemple, une femme est sans cesse victime de stéréotypes de la part des hommes à l'origine du projet... C'est leur fond de commerce et cela nuit grandement à l'ensemble car certaines réflexions peuvent être pertinentes. Ainsi, le personnage féminin d'un film assez inoffensif comme Hidalgo (axé plutôt sur les Native American Studies) est méprisé par les spécialistes de ces disciplines alors que le public féminin, en général, apprécie grandement le film sans se sentir "discriminée".
Malgré le hiatus évoqué dans la précédente question entre public et universitaires, comment expliquez-vous l’influence grandissante des Cultural Studies sur la production cinématographique US ?
Il est important de rappeler que les jeunes Américains sont plus cinéphiles que les plus âgés. Les 18-24 ans ont assisté à 6,5 films par an en moyenne, tandis que les 60 ans et plus n'en ont vu que 2,3. Les jeunes américains sont donc un public-cible très important pour les studios. Le jeune public, souvent universitaire et sensible aux idées du parti démocrate, rapporte beaucoup d’argent et les messages des films vont donc beaucoup dans le sens des Cultural Studies. C'est donc principalement du marketing et j'explique beaucoup plus précisément cela dans mon livre.
Le phénomène ne risque t’il pas de débarquer en France ? L'intervention d'Aïssa Maïga lors des Césars 2020 peut le laisser penser...
En effet, nous sommes en plein dans le conflit de minorités que je décris dans mon ouvrage. Les Cultural Studies et dérivés sont désormais la nouvelle doxa dans les universités françaises et on ne compte plus les colloques ou journées d’étude consacrés à ce champ d’étude en France. Rappelons qu’une pièce de théâtre, Les Suppliantes d’Eschyle, a été initialement annulée à la Sorbonne pour cause de blackface (se grimer en noir pour se moquer des Noirs) alors que le metteur en scène souhaitait uniquement rester fidèle aux pratiques théâtrales antiques… Dans lesquelles le blackface n’existait pas !
Hanzo
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