Origine : Italie
Année : 1971
Un film réalisé par Luigi Bazzoni
Avec Franco Nero, Silvia Monti, Wolfgang Preiss…
Edité en DVD Zone 2 chez Le chat qui fume (2006)
Andrea est un journaliste porté sur la bouteille. Il enquête sur une série de meurtres dont il devient, bien involontairement, le principal suspect...
Le réalisateur Luigi Bazzoni semble avoir privilégié la qualité au détriment de la quantité puisque sa filmographie se résume à six films pour le cinéma et que, parmi ceux-ci, les titres qui nous sont parvenus se distinguent par leur originalité. On peut citer L’homme, l’orgueil et la vengeance (1968) avec Franco Nero et Klaus Kinski, étonnante adaptation western de Carmen ou Le orme (1975), étrange thriller teinté de science-fiction et variation libre autour du film d’Alain Resnais L’année dernière à Marienbad (1961). Entre ces deux œuvres à la fois personnelles et pleinement ancrées dans le genre, Luigi Bazzoni signe donc cette Journée noire pour le Bélier (titre original) que l’on peut classer dans la catégorie du « giallo » (thriller sanglant à l’italienne avec tueur mystérieux et scènes de meurtres stylisés). Ce genre est alors à son apogée (son âge d’or se situe entre 1969 et 1972) après les succès des premiers films de Dario Argento (L’oiseau au plumage de cristal-1969) et de quelques titres particulièrement réussis à l’époque (La queue du scorpion de Sergio Martino, La tarentule au ventre noir de Paolo Cavara, tous deux de 1971).
En quittant un club après le réveillon du jour de l’An, un enseignant est violemment agressé et laissé inconscient. Le journaliste Andrea Bild (Franco Nero, le Django de Sergio Corbucci, 1966), entre deux cuites au J&B, est chargé de l’enquête. Peu après, la femme handicapée d’un médecin ayant participé à la même soirée que le professeur molesté est assassinée, un gant auquel il manque un doigt est placé près de son cadavre. Alors que la police piétine, l’employeur d’Andrea est retrouvé mort dans un parc, un gant découpé à un doigt près du corps ; sans alibi, le journaliste passe du statut d’enquêteur à celui de suspect numéro un !
Une courte mais efficace séquence pré-générique nous fait entendre la voix chuchotante et menaçante du tueur (enregistrée sur une bande) puis nous fait pénétrer par une série de travellings avant en très grand angle (vision « fish-eye ») dans la discothèque où sont réunis les futurs protagonistes. Un cri de femme vient clore la séquence. Ce prologue filmé du point de vue de l’assassin (voix off, caméra subjective, vision « déformée » de la réalité…) sera l’unique accès que nous aurons à l’univers mental de ce dernier. En effet, c’est ensuite du point de vue désabusé et alcoolisé du journaliste Andrea que les événements sont perçus et rapportés ; incarné avec beaucoup de justesse par Franco Nero, ce personnage emprunte beaucoup à la figure du détective privé du film noir américain (les attributs vestimentaires : imper, feutre mais aussi les méthodes d’investigation entre faux flegme et vrais éclats de violence).
De même, il semble que c’est plutôt du côté du thriller anglo-saxon que The Fith Cord puise son influence, les scènes de meurtres recherchant davantage la sobriété du suspense que l’esthétisme choc propre à la plupart des « giallos ». A ce titre, la première attaque du tueur est tout à fait remarquable, celle-ci ne durant que quelques secondes (la victime impotente est étranglée puis jetée du haut d’un escalier) mais succédant à une longue séquence muette où la femme rampe sur le sol, son visage cadré de près semblant supplier le spectateur. Points d’orgue habituels du « giallo », les meurtres et leur ritualisation passent ici au second plan : le patron d’Andrea meurt d’une crise cardiaque avant que l’assassin ne puisse utiliser son arme blanche et une femme est retrouvée noyée dans sa baignoire sans que l’on ait vu le modus operandi du tueur. En lieu et place des traditionnelles effusions de sang propres au genre, Luigi Bazzoni opte plutôt pour un univers à la violence froide et diffuse, à l’image de l’environnement dans lequel évoluent ses personnages. L’espace urbain tient dans le film un rôle prépondérant : l’architecture moderne, faite d’immenses tours, de souterrains déserts, de ponts gigantesques ou d’escaliers monumentaux, écrase, menace et isole les personnages et confère à la ville (non identifiée) une dimension quasi-monstrueuse. Très souvent filmé en plongée lors de ses déplacements dans cet espace, le journaliste Andrea n’en apparaît que plus perdu et abandonné, à l’image en fait de la plupart des protagonistes (Helen, son ex-femme esseulée, Giulia, la prostituée…).
Au-delà de sa trame policière parfois confuse (il y a certainement trop de personnages secondaires et de sous-intrigues un peu inutiles), The Fifth Cord développe un sous-texte tout à fait passionnant où le cadre urbain (la Cité et ses formes géométriques disproportionnées mais aussi les intérieurs aussi vastes que désincarnés) devient un reflet de l’âme de ceux qui le traverse. De plus, à l’image de certains films américains de l’époque (Klute de Alan J. Pakula, sorti la même année), le métrage de Luigi Bazzoni convoque une atmosphère proche de la paranoïa où les espaces à la fois infinis et déserts qui dominent les personnages semblent contenir et protéger l’insaisissable assassin. La menace invisible finit par exploser dans le dernier quart d’heure du film qui voit se succéder un mémorable assaut nocturne du tueur dans une demeure isolée puis une époustouflante course poursuite filmée caméra à l’épaule entre ce dernier et Andrea dans une usine désaffectée. Doté d’une photographie somptueuse (due au grand chef-opérateur Vittorio Storaro qui a travaillé aussi bien pour Dario Argento que pour Francis Ford Coppola sur Apocalypse Now-1979), The Fifth Cord s’impose finalement comme une œuvre puissante et originale qui semble préfigurer par son atmosphère urbaine, morbide et glaciale le Ténèbres de Dario Argento (1982) et annoncer le désenchantement existentiel qui sera à l’œuvre dans les « poliziotteschi » des années à venir.
Alexandre Lecouffe
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