mercredi 25 juillet 2012

Preview : My Soul To Take de Wes Craven


Réalisé après le segment de Paris, je t’aime et Red eye, My soul to take transpire l’envie de Wes Craven de retourner au slasher, comme si l’univers de Scream lui manquait. Et pour cause, cette œuvre mineure, mais néanmoins sympathique, signée par le père de Freddy Krueger reprends les ingrédients de la franchise qui l’a définitivement élevé au panthéon des réalisateurs de films d’horreur : des élucubrations adolescentes aux décors où se déroule un dénouement malheureusement cousu de fil blanc. Pourtant, dès son ouverture, My soul to take avait de quoi séduire les affamés de viande rouge et de couteaux effilés.
Abel, tel un tranquille père de famille, vit heureux avec sa femme et sa fille. Ensemble ils attendent un second enfant. Seulement, Abel est aussi un dangereux tueur en série aux multiples personnalités. Traqué par la police lors d’une nuit aussi furieuse que sanglante, son règne prend fin dans un terrible accident d’ambulance. Au moment même où il expire son dernier souffle, naissent sept enfants prématurés.


Pourtant, alors que ce prologue des plus sauvages à la mise en scène aussi tranchante qu’une lame promet une petite série B fantastique des plus agréables, le film s’avère des plus classiques. En effet, l’intrigue taille dans les conventions du slasher adolescent. Sous couvert d’une malédiction, seize ans plus tard, les sept prématurés se réunissent afin de fêter l’anniversaire de la mort de l’Éventreur de Riverton, mais l’assassin semble être revenu d’entre les morts. Décidé à se venger d’eux, il élimine les adolescents les uns après les autres.
« Je me suis totalement impliqué dans ce film et je dois énormément à cette magnifique équipe. Tout le monde y a mis ses tripes et son cœur », confie Wes Craven qui est aussi à l’origine de ce scénario manquant un peu de liant. À l’instar de certains personnages, certaines intrigues secondaires, comme les jeux et les griefs des lycéens, ne sont pas étoffés. Wes Craven veut créer un univers particulier, mais le tout s’avère bancal, inabouti. Ce qui est aussi sa marque de fabrique mais ne nuit pas à l’efficacité de certaines séquences, visuellement très réussies. Avec son chef opérateur, Wes Craven arrive à créer des ambiances nocturnes angoissantes, comme le meurtre du premier adolescent ou une traque finale en huis-clos particulièrement bien menée.


Pour renforcer l’aspect fantastique de l’intrigue, le cinéaste laisse planer le doute sur l’identité de la personnalité démoniaque du tueur, y mêle mythologie et légendes urbaines, mais en oublie de développer ses réelles motivations, d’expliquer le pourquoi. Toujours dans le flou, sa vengeance semble n’être qu’un prétexte à une série de meurtres délicieusement gores et brutaux. Comme pour la série des Scream, Wes Craven reprend des artifices similaires, notamment dans la mise en scène sonore, comme le chuintement des lames, complètement irréaliste, qui pénètrent les corps. Quant à l’aspect visuel, Aaron Weintraub, le superviseur des effets spéciaux explique avoir « ajouté des lames supplémentaires aux couteaux pour donner l’illusion de transpercer les victimes ».
Distribué en 3D, My soul to take ne semble pourtant pas avoir été tourné dans ce format, la mise en scène ne bénéficiant pas de perspectives ou d’effets particuliers. Peut être est-ce là une tentative pour attirer les spectateurs vers une œuvre mineure, mais distrayante, de l’auteur de La dernière maison sur la gauche ?

Thomas Roland


My soul to take

(USA - 2010 - 107mn)
Scénario et réalisation : Wes Craven
Directeur de la photographie : Petra Korner
Montage : Peter McNulty & Todd E. Miller
Musique : Marco Beltrami
Interprètes : Max Thieriot, John Magaro, Emily Meade, Mick Lashaway, Denzel Whitaker, Sharreka Epps, Paulina Olszynski, Raùl Esparza…
Sortie en salles le 1er août 2012.

mardi 24 juillet 2012

Les lectures de Boris : City


Ecrit par Joël Houssin
Publié en 1983 chez Fleuve Noir / Anticipation
ISBN 2-265-02333-7

Disons le tout de suite : c'est bien ! Par contre je me demande si je ne suis pas dans un cycle. En ce moment j'apprécie beaucoup les romans cyber-punk dont la construction suit celle d'une nouvelle, c'est-à-dire : pas de fioritures, droit au but, bastons en règles et tout le toutim. J'en déduis que je rajeunis.

J'admets que les qualités rythmiques de ce bouquin (qui avance à une vitesse folle) tiennent probablement du fait que Houssin écrit surtout du polar. Du Navarro comme du Commissaire Moulin, et surtout du Dobermann réalisé par le gobeur de cactus. Et ça donne à l'auteur une très bonne maîtrise de l'argot et de la vulgarité, en conservant ses personnages dans une réalité palpable donc crédible. Soit dit en passant, il a tout de même eu deux fois Le Grand Prix De L'Imaginaire (en 86 pour Les Vautours et en 92 pour Le Temps Du Twist) et en 90 Le Prix Apollo pour Argentine. Ça pose un peu le bonhomme tout de même...


En deux mots : pas d'apocalypse, les hommes n'ont pas eu besoin de ça pour tout ravager. Le système politique est simple : les candidats se retrouvent sur un ring, se tapent dessus, et celui qui passe tous les tours est président, « défiable » à tout moment par n'importe quel prétendant (prétendants élevés dans les multinationales). Par extension c'est l'anarchie totale dans la rue, où la transmutation crée genres et castes. La paix sociale (qui ressemble plus à de la dératisation) se fait par le biais de Nettoyeurs, aux véhicules parfaitement létaux et très efficaces. Histoire de pimenter le tout le président décide de venir s'installer dans le quartier le plus pourri de la ville.
N'allez pas croire que je raconte le livre, là on doit être à la page 15 à tout rompre.

J'aime aussi l'anticipation quand ça en est, et là c'en est. Houssin dresse un tableau extrêmement pessimiste mais très crédible de l'évolution politique qui influe sur la société, faisant assumer aux gouvernants leur responsabilité. Les répercussions économiques sont, bien sûr, là aussi, puisque le politicien est un produit. Il en profite également pour illustrer cette capacité d'obéissance de l'homme, se cachant derrière les ordres reçus (système de défense des SS lors de leurs procès). L’auteur sous-entend la nécessité de faire gaffe, tout le temps.


Maintenant il ne faut pas se mettre martel en tête, le bouquin reste simple, n’est pas alourdi par des tonnes de théorie, et du haut de ses 180 pages il se dévore en une heure. Mais ce faisant, comme je l'indiquais au début, City synthétise le meilleur de ce genre de littérature à publication mensuelle, à l'histoire passionnante, aux sujets intelligents et à l’illustration adroite.
Un beau boulot de genre, vraiment.

Boris

jeudi 5 juillet 2012

Gabon hard boiled : interview de Janis Otsiemi auteur de Le Chasseur De Lucioles


L’air de rien, le Gabon fait montre d’une certaine vivacité culturelle à travers des œuvres cinématographiques et littéraires originales qui font de plus en plus parler de lui. Pourtant sous le joug d’un parti unique, ce petit pays de l’Afrique francophone propose avec ces deux expressions artistiques de mettre en évidence une politique et une administration corrompues. Un contexte qui permet l’émergence de voix engagées comme Janis Otsiemi, essayiste et auteur de polars né en 1976. Originaire de Franceville, dans la province du Haut-Ogooué, le romancier livre des textes secs, brutaux et dénués de toute complaisance envers les élites.

Le Gabon de Janis Otsiemi prend les traits des petits, de Monsieur et Madame Tout le monde et des marginaux pris dans l’engrenage d’une société pervertie par l’argent. Dans
Le chasseur de lucioles, il fait s’imbriquer deux intrigues : deux policiers aux méthodes peu conventionnelles sont sur la piste d’une bande de braqueurs alors qu’un tueur en série tendance Jack l’éventreur s’en prends aux lucioles, terme poétique pour désigner les prostituées qui attendent le client dans la nuit.

Janis Otsiemi mène ces deux enquêtes à cent à l’heure dans la plus pure tradition du roman noir. Seulement, là où la pluie de Los Angeles tambourine sur le chapeau de Philip Marlowe, ici, le soleil éclaire les rues des quartiers populaires de Libreville. Avec un style imagé et propre à l’argot populaire, il décrit des personnages démunis de toute morale, prêts à tout pour dégotter le gros lot. Les dialogues sont incisifs, les séquences d’action âpres et violentes et le rythme alerte. Dans ce climat où la sueur se mêle au sang, Janis Otsiemi dépeint une société où espoir rime avec argent. D’ailleurs, sous son aspect policier, le roman sonne comme un constat, un signal d’alarme.

Le chasseur de lucioles est une nouvelle preuve de la vivacité de la littérature africaine et, surtout, de l’existence d’une littérature de genre sur le continent. Un style qui a encore ses lettres de noblesse à gagner malgré les chefs d’œuvre déjà publiés, entre autres, au Sénégal sous la plume d’Abasse Ndione1.



Comment expliquez-vous le fait que la littérature policière africaine soit si peu développée en Afrique noire ?
Cela s’explique par le contexte politique du continent. Bien avant la chute du mur de Berlin en 1989, le continent était dirigé par des régimes à partis uniques. C’est avec l’avènement de la démocratie que le polar a commencé à poindre au début des années 90 avec des auteurs tels qu’Evina Abessolo, Asse Gueye et surtout Achille Ngoye et Abasse Ndione dont les romans ont été publiés dans la Série Noire. Le vent de la liberté suscité par la chute du mur de Berlin a délié les langues et les plumes. Mais une vingtaine d’années plus tard, force est de constater que la production s’est tassée faute d’auteurs qui ont pris la relève, comme moi. Peut-être aussi parce que l’espoir suscité par la démocratie a été confisqué par les élites au pouvoir.

Pourtant, le décor des grandes villes africaines semble se prêter au polar urbain…
Comme vous le dites si bien, le décor des grandes villes africaines se prête mieux au polar. Le polar africain n’a vraiment rien à envier au polar européen ou américain. La vie quotidienne en Afrique est matière à polar.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir auteur de polar ?

Bien avant d’écrire des polars, j’écrivais des poèmes et des romans blancs. J’ai finalement décidé de devenir un auteur de polars pour raconter les galères que vivent les gens dans les bidonvilles de Libreville à la demande de mes amis d’enfance car j’ai grandi moi-même dans l’un de plus gros bidonvilles de Libreville. Le polar était le genre qui pouvait mieux rendre compte des conditions de vie dans les quartiers sous-intégrés qu’on appelle ici les « matitis ». Mais le défi qui était le mien, c’était d’écrire des polars qui ne soient pas des pâles copies de ce qui se fait en Europe ou aux Etats-Unis.

Est-il difficile de s’imposer comme un auteur de polar dans un pays où cela semble peu être la tradition ?
Mes romans trouvent un accueil chaleureux au Gabon parce qu’il existe un lectorat pour ce genre de littérature. Contrairement à ce que l’on pense, on lit beaucoup de polars partout en Afrique. Mais le genre est toujours considéré comme une sous-littérature par les universitaires.


Dans Le chasseur de lucioles, vous menez la vie dure aux clichés sur les prostituées africaines et l’image sur la façon, comme on a en Occident, dont se transmet le SIDA. Etait-ce délibéré ou s’agit-il juste d’un élément de contexte ?
C’est un fait divers qui m’a inspiré Le Chasseur de lucioles. J’avais lu dans un journal local qu’une femme avait porté plainte contre un homme qui lui avait donné volontairement le Sida. Des histoires de ce genre, on en entend presque chaque journée. Alors je me suis servi de ce fait divers comme point de départ pour construire ce polar avec en trame de fond la problématique du Sida et de la prostitution qui sont très liés dans nos pays.
Le polar est pour moi un prétexte pour dénoncer les maux tels que la corruption, le népotisme, le tribalisme et autres qui minent le Gabon.

Vous avez un style très sec, avec peu de psychologie. Etrangement, le personnage qui en bénéficie le plus, c’est le tueur. Pourquoi ce parti pris ?
Il est vrai que dès les premières pages du roman, on découvre le visage du tueur et on comprend les motivations qui le pousseront plus tard à commettre des crimes. Par ce procédé, j’ai voulu comprendre comment un homme « normal » peut basculer dans un monde « anormal ». Ce qui m’intéresse, ce n’est guère la psychologie de mes personnages, mais plutôt leur trajectoire.

Comment travaillez-vous votre style, entre le parler et le littéraire ? Vous utilisez des expressions de la rue ?
Il existe partout en Afrique un français parlé, presque tordu, qui est aux antipodes du français qu'on enseigne dans les écoles. Au Gabon, on appelle ce français tordu "les gabonismes". Les gabonais sont le patrimoine dans lequel je puise abondamment pour écrire mes polars. Mais derrière l'utilisation de cette langue se cache une démarche esthétique. Celle de violenter la langue française pour la posséder, pour dire mon vécu. Peut-être aussi en arrière-plan une volonté de prendre une revanche sur le colonisateur par le biais de sa langue, seul trait d'union de notre passé commun.

Vous dénoncez une corruption qui existe à plusieurs niveaux. Existe-t-il une censure ? Etes-vous considéré comme un auteur engagé, un trublion ?
La corruption est l’un des fléaux qui minent l’Afrique. Et le Gabon, pays producteur de pétrole, n’y échappe pas. Outre les polars, j’écris aussi des essais politiques qui poursuivent le même but : faire avouer à la société ses tares. Bien sûr, mes livres ne sont pas vus d’un bon œil par les élites politiques dont je dénonce la faillite. Ce qui me fait passer dans le sérail pour un enfant terrible.

Cela vous a-t-il attiré des ennuis ?
Je n’ai jamais été inquiété pour mes polars. Par contre, j’ai eu maille à partir avec les autorités gabonaises lorsque j’ai publié à Edilivre en 2007 un essai politique sous le titre Guerre de succession au Gabon : les prétendants. Dans ce livre, je brossais une brochette de biographies d’hommes et de femmes susceptibles de succéder au président Omar Bongo, décédé en juin 2009 à Barcelone en Espagne, après plus de 40 ans de règne. Dans mes polars, je ne vise personne en particulier. Bien au contraire, je donne à lire le tableau – peut-être sombre, je l’avoue – d’une société avec ses contradictions, ses avancées et ses reculades.

Quel avenir voyez-vous pour le polar africain ? Y a-t-il de nouvelles vocations qui naissent ?
Le polar a un bel avenir devant lui parce que l'Afrique, avec ses mœurs et coutumes, est un terrain fertile pour l'éclosion de ce genre qui est très prisé. Mais pour cela, il faudrait qu'il y ait une relève. Pour l'instant, peu d'auteurs africains s'investissent dans le polar.

Propos recueillis via courriels par Thomas Roland en juin 2012.
Remerciements à Jimmy Gallier.


Le chasseur de lucioles
Janis Otsiemi, Éditions Jigal, Polar, 202 pages, 16€.

1 Auteur de La vie en spirale (Série Noire) et Ramata (Folio Policier).