mardi 5 juin 2012

Le grand soir de Kervern et Delépine



L'amour du noir
Quand les deux compères grolandais Benoît Delépine et Gustave Kervern s’évadent du petit écran pour investir les salles obscures, c’est pour livrer des films décalés, entre poésie et subversion. Avec ce cinquième opus, se dessine une oeuvre cohérente qui éloigne le cinéma français du 16éme arrondissement et de ces metteurs en scène qui filment leur répétition de théâtre afin de les distribuer en salles. Dans leurs intrigues, ils font se rencontrer deux personnages que tout semble séparer, un duo qui peut être leur propre reflet.
Le grand soir, qui s’aventure cette fois dans l’univers des punks à chien, ne déroge pas à la règle. Benoît, qui se fait appeler « Not », et son frère Jean-Pierre se retrouvent au restaurant familial pour célébrer l’anniversaire de leur mère. Sous leurs grands airs et leurs postures, ils n’ont pas coupé le cordon ombilical et sont comme deux enfants perdus et en manque d’affection. « Not » vit dans la rue, avec son chien, écoute du punk, boit de la bière et mendie sur les parkings des supermarchés. Jean-Pierre, lui, est commercial dans un magasin de mobiliers, sermonné par un patron qui ne demande qu’à se débarrasser de lui. En retard sur ses objectifs, Jean-Pierre va finir par perdre les pédales et, dans la logique imparable de la théorie du papillon, son emploi, ses économies et la garde de sa fille… Avec « Not », il va trouver un autre sens à sa vie.



Benoît Delépine et Gustave Kervern redonnent ses lettres de noblesse à la comédie française, celle des années 70. Celle qui était traversée d’un souffle un tant soi peu libertaire, celle qui faisait la part belle aux marginaux et à ces personnages en décalage avec le monde qui les entoure. Adeptes d’une certaine mélancolie lorsqu’il s’agit de dresser un portrait de la société actuelle, les deux trublions du petit écran injectent dans chacun de leurs films un peu de cette tendresse qui manque dans les récentes comédies françaises.
Après s’en être pris aux tenanciers de la finance et au problème des retraites, les deux cinéastes prennent d’assaut les zones commerciales, comme il y en a tant maintenant en périphérie des grandes villes. Presque tout le film se déroule dans ces méandres de magasins où se croisent de nombreux anonymes accrochés à leur caddie. Un labyrinthe dans lequel l’humain n’a plus sa place, celui-ci étant relayé à de simples silhouette sur des écrans de surveillance. À cette société déshumanisée où l’image est reine, comme à leur habitude, Benoît Delépine et Gustave Kervern opposent la naïveté et la pureté de leurs deux héros, proposent le sens de la solidarité comme remède à l’individualisme et au conformisme.
Réalisé avec peu de moyens, Le grand soir, avec son rythme quelque peu flottant qui alterne les plans séquences et les ellipses, a des airs de fronde désordonnée. Un style contemplatif qui offre de vrai moments de poésie mêlés de désespoir. Sans, toutefois, exclure un humour touchant, mais teinté de noir. Une couleur qui est aussi celle de la révolte, d’une rébellion qui passe avant tout par l’affirmation de soi face à un monde de plus en plus replié sur lui-même. Pour toutes ces raisons, Le grand soir est l’un des films les plus atypiques et intéressants de l’année, une pierre de plus à une oeuvre complètement autre et si attachante qu’elle gagne en cohérence.

Thomas Roland


Le grand soir
(France - 2012 - 92mn)
Scénario et réalisation : Benoît Delépine et Gustave Kervern
Directeur de la photographie : Hugues Poulain
Monteur : Stéphane Elmadjian
Musique : Brigitte Fontaine & Areski Belkacem
Interprètes : Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, Brigitte Fontaine, Areski Belkacem, Bouli Lanners, Serge Larivière, Stéphanie Pillonca, Miss Ming, Chloé Mons, Yolande Moreau…
En salles le 6 juin 2012.




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